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Ilyas El Omari : « J’ai fait tout ce que je pouvais pour El Hoceima »

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Ilyas El Omari, président de la région Tanger-Tétouan-El Hoceima et secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM).

Après un long silence, le président de la région la plus agitée du Maroc a répondu aux questions de Jeune Afrique au sujet des protestations qui secouent sa ville.

Enfin, il a donné signe de vie. Depuis la reprise des tensions à El Hoceima ces deux dernières semaines, beaucoup de Marocains se demandaient où était passé le président de cette région du nord marocain, Ilyas El Omari, également secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM). Alors que les jeunes rifains investissaient les rues tous les soirs (ce qu’ils continuent de faire), ce dernier était en déplacement professionnel à Washington. « Pour attirer les investissements américains vers sa région », se justifie-t-il. Lundi 29 mai, au lendemain d’une série d’arrestations dans les rangs des manifestants, dont leur leader, Nasser Zefzafi, il a appelé à la tenue d’une conférence nationale sur le Rif pour réconcilier cette région historiquement frondeuse avec l’administration centrale. Interview.

Jeune Afrique : Vous absence a été remarquée pendant les incidents qui continuent de secouer la région que vous dirigez. Où étiez-vous ?

Ilyas El Omari: Je n’ai jamais été absent de ma région. Le seul impératif que j’avais, c’était un déplacement d’une semaine à Washington à la mi-mai pour prendre contact avec les milieux économique et universitaire américains. À part cela, j’ai toujours été présent.

Cet déplacement ne pouvait-il pas être décalé ? Il y avait peut-être plus urgent…

Ce déplacement était programmé de longue date. Je vous rappelle que j’ai pris le sujet des protestations à bras le corps depuis le début, c’est-à-dire depuis la mort de feu Mouhcine Fikri [un marchand de poisson happé par une benne à ordures, NDLR] en octobre dernier. À l’époque, j’avais alerté le gouvernement et les autorités centrales pour qu’ils interviennent en urgence et qu’ils accélèrent la mise en oeuvre du plan de développement de la région. J’ai fait tout ce que je pouvais malgré les moyens limités et le manque de prérogatives de ma région. Hier lundi, j’ai appelé à la tenue d’une conférence nationale sur le Rif. Je veux que tout le monde y assiste, ONG, partis politiques ainsi que les jeunes du « Hirak » [le mouvement qui encadre les manifestations, NDLR].

J’ai déjà alerté sur la situation explosive de la région. On ne m’a pas entendu

N’est-il pas trop tard pour votre initiative? 

Que voulez-vous que je fasse de plus ? J’ai envoyé des lettres au gouvernement lui demandant d’intervenir, j’ai formé plus de 1 600 diplômés chômeurs à l’emploi, j’ai demandé au ministre de la Santé de nous fournir un scanner pour l’hôpital d’oncologie. Je veux juste trouver une solution.

Avec qui allez-vous dialoguer dans cette conférence ? La plupart des leaders du Hirak sont actuellement sous les verrous…

Le Hirak ne se limite pas à quelques personnes. En plus, chaque suspect est présumé innocent jusqu’à sa condamnation. Pour moi, le Hirak est l’affaire de tous les Marocains. J’ai déjà alerté sur la situation explosive de la région, sur le chômage endémique, sur les indicateurs sociaux alarmants… Il y a longtemps, j’avais dit qu’il fallait attaquer ces problèmes une fois les élections législatives terminées. On ne m’a pas entendu. Le gouvernement a perdu beaucoup de temps.

Ne minimisez-vous pas vos responsabilités ? Car vous restez, malgré tout, le président de cette région et êtes donc le premier comptable de sa situation…

Je parle en tant que président de région et en fonction des prérogatives qui me sont octroyées. Or, la région n’a pas le pouvoir de solutionner les problèmes des gens. Nos moyens sont limités. Je représente un parti politique, pas l’autorité centrale. Au Maroc, c’est cette dernière qui gouverne en vertu de la loi. Peut-être que les gens ont l’impression que j’ai un double langage comme vous insinuez parce que je ne parle pas beaucoup, que je garde très souvent le silence. Que voulez-vous que je leur dise ? Que le gouvernement n’a pas fait son boulot ? Que les manifestants doivent continuer à écumer les rues d’El Hoceima ? Jamais. Je veux juste rétablir la paix.

C’est au CNDH de nous dire s’il y a eu des abus dans les arrestations d’El Hoceima

Pourquoi les gens continuent-ils de protester à El Hoceima ?

C’est le résultat de 50 ans de rupture de confiance entre le Rif et l’administration centrale. Nous avons commencé à récupérer ce retard mais depuis 2007, les retards d’exécution des projets s’accumulent. Beaucoup de rapports ont été faits sur la région mais pour très peu de résultats.

La riposte de l’État contre les manifestants a été dure. Pensez-vous que des abus auraient été commis lors de cette série d’arrestations dans les rangs du Hirak ?

Je n’ai aucune opinion à vous donner en tant que président de région. C’est aux activistes des droits de l’homme et au Conseil national des droits de l’homme (CNDH) d’évaluer l’intervention policière. C’est à eux de nous dire s’il y a eu abus ou pas.

Vous êtes tout de même le secrétaire général du premier parti d’opposition au Maroc, le Parti authenticité et modernité (PAM)…

Au sein du Parlement, notre parti a adressé des questions orales au gouvernement. Au lendemain de la mort de Mouhcine Fikri, j’ai moi-même adressé des courriers à plusieurs ministres leur demandant de me fournir des informations pour que je puisse dialoguer avec les gens d’El Hoceima. Vous savez ce qu’ils m’ont répondu ? Que ce n’était pas mon affaire et que c’était la justice qui avait été chargée du suivi [onze personnes ont été traduits en justice suite à ce décès tragique, NDLR].

Abdelilah Benkirane m’a dit qu’un président de région n’a pas le droit de saisir un chef de gouvernement

Quel genre d’informations demandiez-vous ?

Je suis l’enfant d’El Hoceima. Je sais que la région a toujours vécu sur les revenus de la pêche. En quelques années, le secteur a subi une débâcle spectaculaire. Qui en est responsable ? Chez qui Mouhcine Fikri achetait-il son poisson ? À qui le vendait-il ? Je voulais avoir une idée sur la chaîne des responsabilités. On m’a envoyé balader. Mais je ne vais pas publier ces courriers pour ne pas alimenter de surenchère.

En plus clair, à qui avez-vous envoyé vos courriers et qu’est ce qu’on vous a répondu ?

J’ai écrit à Abdelilah Benkirane lorsqu’il était chef du gouvernement. Il m’a répondu qu’un président de région n’avait pas le droit de saisir par courrier un chef de gouvernement. J’ai fait la même chose avec l’ancien ministre de l’Intérieur et celui de la Justice. Les deux m’ont dit que le dossier était suivi par la Justice.

Il y a donc bel et bien un problème de gouvernance au Maroc…

Tout ce que je vous ai raconté est la pure vérité. Si je l’avais dit avant, on m’aurait accusé d’être à l’origine des problèmes à El Hoceima. C’est pour cela que j’opte pour le silence. Derrière ce qui s’est passé, il y a bel et bien un problème de confiance, de communication et de calculs politiciens étroits.

Pour Nasser Zefzafi, je suis un traître

Connaissez-vous Nasser Zefzafi ?

Non, je ne le connais qu’à travers les vidéos où il passe son temps à m’insulter, me traitant de tous les noms : traître qui a vendu la cause du Rif, officine de l’État…

Il a quand même une grande popularité dans votre région…

Oui et après ? Je ne réponds pas à quelqu’un qui a fait de moi un traître. Je ne remets pas en cause son droit de me critiquer. Loin de là. Mais ça ne m’intéresse pas de le connaître. Le Hirak appartient à tous les Marocains. Il en fait partie certes. Mais la dynamique des peuples n’a jamais été portée par quelques personnes.

Pourquoi les partis politiques n’ont-ils pas joué leur rôle de médiation ?  

Au contraire, ils ont voulu intervenir. Mais certains leaders du Hirak n’ont pas voulu d’eux. Ils ont remis en cause leur crédibilité et les ont traités « d’officines de l’État ». De fait, l’administration centrale s’est retrouvée en face à face avec les manifestants.

Avec votre proposition de conférence nationale sur le Rif, n’avez-vous pas peur d’ouvrir une boîte de pandore ? Et si les Sahraouis se mettaient à leur tour à demander un débat national sur leur région ?

Et pourquoi aurions-nous peur de tels débats ? Celui qui a raison n’a jamais peur. Ce genre de conférence nationale consacre la liberté d’expression et permet de recueillir des avis contradictoires. Toutes les régions en ont besoin. Fès, Tanger, Tétouan… On ne doit jamais condamner les bonnes intentions.



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