Dans cet entretien, le professeur Fall nous parle de la situation politique au Sénégal mais il revient aussi sur l’Affaire Charlie Hebdo
-Professeur Fall, vous avez, à de nombreuses reprises, publié dans nos colonnes sur l’islam, le halal, la mort musulmane, le dialogue interreligieux etc. Mais on ne vous a pas entendu réagir sur l’Affaire Charlie Hebdo. Quelle analyse en faîtes vous?
Je vous ferai d’abord observer que face à ces tristes évènements, les musulmans n’ont pas, cette fois, attendu une sommation politique ou médiatique pour réagir. Un peu partout et très spontanément, à différents niveaux, ils ont condamné ces crimes et indiqué leurs solidarités au peuple français. En ce qui me concerne, je suis intervenu dans la presse canadienne aussitôt les événements survenus pour dire mon indignation devant ces crimes mais aussi pour appeler à «une utilisation responsable de la liberté d’expression». Je ne saurais m’exclure de ce débat! D’ailleurs, j’accueille présentement dans mon centre de recherche, monsieur Samir Amghar, un brillant chercheur, auteur des ouvrages : Le salafisme d’aujourd’hui et L’islam militant en Europe. Nous menons une réflexion sur la radicalisation mais surtout sur la déradicalisation et d’ailleurs nous organisons un atelier international sur ce dernier thème en mars. Maintenant, pour en venir à mon analyse, elle se nourrit grandement de ce que j’ai vu et entendu à Paris ce dimanche de la grande manifestation. J’ai tenu à y être, même pour un bref moment, pour observer et analyser les sensibilités.
-Qu’avez-vous en définitive retenu de cette gigantesque manifestation et ne craigniez-vous pas en vous y rendant d’être perçu comme un pro Charlie?
Je retiens cette rencontre merveilleuse avec une vieille dame algérienne, voilée, ainsi qu’avec sa belle-fille, une française de souche, convertie et également voilée. La vieille dame accompagnait la foule dans l’émotion et le recueillement. On sentait chez elle une grande piété religieuse et sur son front était gravée la zebiba, cette marque qui témoigne de la fréquence de la prosternation. Elle m’a confié qu’elle était là pour l’islam et pour dire que le Prophète de l’islam (PSL) n’aurait pas approuvé cette tuerie. Ni elle, ni sa belle-fille, ni moi et beaucoup d’autres musulmans qui étaient là n’étions pas piqués par le virus de la « charlite ». Nous ne sombrions pas non plus dans l’envoûtement du « charlisme ». Nous étions là pour décrier la barbarie et pour dire non à ces égarés qui ternissent le visage de l’islam. Le « charlisme », c’est ce forcing symbolique, cette hégémonie de la représentation, ce coup de marketing qui a voulu faire entendre dans toute énonciation du slogan « Je suis Charlie », qui a également voulu faire voir dans toute présence à cette mobilisation ainsi que dans l’émotion partagée, le ralliement de tous à l’idéologie de la liberté d’expression défendue par Charlie Hebdo. On a voulu ramener cette liberté d’expression qui s’autorise le blasphème religieux dans des formes les plus choquantes à un trait culturel français.
-N’est-ce pas pourtant pas le cas, Professeur, au vu de tout ce qui s’est dit, à ce sujet, en France?
Je ne le crois pas. Le peu d’audience qu’avait Charlie Hebdo, son nombre d’abonnés peu élevé avant les attentats qui se chiffrait à 10000 lecteurs et même un sondage du Journal du Dimanche, réalisé en plein cœur des événements, et qui indiquait que 42% des français s’opposent à la publication des caricatures du Prophète Mohamed (PSL), tous ces faits montrent que l’idéologie de la liberté d’expression de Charbie Hebdo n’est pas dominante dans le cœur des Français. Aujourd’hui, Charlie Hebdo bénéficie de 200000 abonnés et a pu vendre 7 millions d’exemplaires pour son premier tirage qui a suivi les attentats, devons nous en conclure un changement d’attitude des Français? Je ne suis pas convaincu. Un homme politique sénégalais, je ne sais plus lequel, disait ceci de juste que « l’abus d’un droit tue la noblesse de ce droit ». Charlie Hebdo a choisi une certaine conception de la liberté d’expression et c’est son droit. Il a choisi la provocation au sommet de son échelle de valeurs. Charlie Hebdo s’est donné comme ambition de toujours tester les limites de la liberté d’expression. Son objectif me semble aujourd’hui se situer dans le «jusquauboutisme» de la provocation plutôt que dans l’information. Charlie Hebdo s’est donné une ligne éditoriale : tester la frontière dans la provocation du religieux. S’attaquant souvent à l’islam (peut être pas seulement à l’islam), et dans un contexte de réception où l’islamophobie trouve de plus en son ancrage, Charlie Hebdo joue dans la facilité et non dans la créativité. Charlie Hebdo ne fait qu’exploiter des «trucs» que sa stratégie de marketing pense gagnants. Personnellement, je préfère l’art-car ils se disent aussi artistes- qui éveille aux valeurs universellement partagées et qui ne divise pas le monde.
-Mais la provocation aussi condamnable soit-elle, ne devrait-elle pas inciter à des réactions d’une autre nature que la violence? Qu’est-ce qui chez les musulmans expliquent le recours récurrent à la violence?
Vous posez là, à mon sens, une question d’une grande importance. Des voix se sont élevées pour dire non à l’amalgame islam=violence et à la stigmatisation. Il a été souvent repris que « l’islam, ce n’est pas ça! ». Il nous faut cependant reconnaître que les auteurs de ces crimes à Paris se sont réclamés de l’islam et ont même crié qu’ils avaient vengé le Prophète Mohamed (PSL). Ils ne se sont pas réclamés d’aucune autre religion mais de l’Islam. Ils croient ainsi trouver la caution de leurs actes dans la jurisprudence de l’islam, dans le Coran et la sunna. On ne peut pas ne pas s’interroger, et cela ne doit pas être perçu comme de la trahison, sur ce qui, dans la lecture de l’islam et dans la sunna, peut pousser ces terroristes à la violence. Cette interrogation nous ramène au «discours de Ratisbonne» du Pape Benoit XVI, discours qui tissait un lien entre l’islam et la violence et qui avait soulevé la colère dans les pays musulmans mais qui était bien reçu en Occident. On peut aussi renvoyer à ces nombreux intellectuels occidentaux qui brandissent l’argument du grand nombre d’énoncés violents dans le Coran même si cette critique peut être adressée aux autres religions révélées. On pense aux horreurs de l’État Islamique, aux horreurs de Boko Haram, aux décapitations et aux flagellations dans certains pays phares de la Oumma, aux jeux obscurs de quelques états musulmans riches qui financent des groupes terroristes etc. Le philosophe Balibar disait récemment, -et nous avons là un grand défi de l’islam contre «le djihadisme violent»- qu’il nous faut contre l’exploitation de l’islam par les réseaux djihadistes dont des musulmans partout dans le monde et en Europe même également sont de grandes victimes, répondre par une critique théologique et finalement une réforme du « sens commun » de la religion qui fasse du djihadisme une contrevérité aux yeux des croyants.
-Professeur Fall, le procès de Karim Wade surchauffe l’atmosphère politique. Le Président Wade qui veut la libération de son fils et celle des autres membres du PDS détenus, adopte et assume une posture de combat. Quelle est votre lecture de la situation?
Je voudrais répondre à votre question en émettant d’abord deux observations. La première est que si Karim Wade est libéré, il a intérêt, pour son image et pour son avenir politique, que les Sénégalais reconnaissent que seul le droit l’a tiré des griffes de la justice. Karim Wade perdrait en crédibilité et noircirait son avenir politique si son éventuelle libération était lue comme le résultat d’une machination politicienne ou l’œuvre de la pression des milieux religieuxet coutumiers, ou celle d’une pression de la rue. Ma seconde remarque est que l’attitude modale attendue du Président de la république, monsieur Macky Sall, dans cette affaire est celle du protecteur vigilant et impartial du fonctionnement autonome de la justice afin qu’en fin de parcours, il se dégage la conviction que Karim Wade et les autres prisonniers n’ont pas été lésés dans leurs droits, ni n’ont bénéficié de privilèges indus. C’est dire que le Président de la République aussi gagnerait en crédibilité et en leadership si ce dossier trouvait une issue qui honore la démocratie et la justice sénégalaises. L’un dans l’autre, il s’avère que quel que puisse être le degré de ce que vous nommez « la surchauffe de l’atmosphère politique », les acteurs ne doivent pas perdre de vue que la bonne issue dans ce dossier sera dans le droit dit par une justice qui, sans nécessairement être dans un hors lieu social et culturel, sera suffisamment rétive aux pressions extrajudiciaires pour ne pas donner l’impression d’être une justice manipulée, une justice injuste. Vous savez, la paix sociale et politique et l’ambiance de sérénité qui nous rendent tous si fiers du Sénégal, la disponibilité d’un cadre propice au travail que nous souhaitons tous, ont besoin d’être adossées à une justice crédible. S’il ressort en toute transparence que Karim Wade s’est enrichi au détriment des Sénégalais, il doit rembourser et être puni par la loi. Mais si cela ne peut être prouvé, quelles que puissent être par ailleurs les présomptions, il doit être libéré, retrouver sa famille et jouir de tous ses privilèges de citoyen.
-Mais d’aucuns soutiennent que Karim Wade libre serait un adversaire redoutable, en 2017 pour le Président Macky Sall… Ce dernier peut-il, au su de cela, être le garant de l’autonomie de la justice? Ne tire-t-il pas profit du maintien de Karim Wade en détention?
Le Président Macky Sall a plutôt intérêt à jouer la carte du bilan avec son PSE. Ce calcul politicien voudrait dire qu’il n’a pas confiance aux résultats du PSE. Écoutez, l’empathie, l’espérance, la popularité, la crédibilité et la confiance, etc. sont des notions qu’il faut apprendre à distinguer en politique. D’un bout à l’autre des pôles de ce continuum qui va de l’empathie à la confiance, la performativité n’est pas la même dans le comportement électoral des citoyens. Je veux dire par là que la popularité même alliée à l’empathie n’est pas indubitablement le critère décisif dans le choix des électeurs pour un Président. Il est évident que l’incarcération de Karim Wade a créé de l’empathie chez une bonne frange de l’opinion publique et ce procès qui traîne en longueur et qui semble par ailleurs plus se dérouler dans la presse que dans les tribunaux, tout cela a moussé sa popularité. Mais Karim Wade sera-t-il à même de transformer en gain concret, lors d’une campagne électorale présidentielle aux enjeux multiples, l’élan de sympathie qu’on lui crédite? Pour ce faire, cet élan de sympathie devra s’articuler à un flair politique, à une habileté politique, à un discours alternatif sur l’économie, à une connaissance du pays, à un ancrage culturel et social qui inspirent confiance aux électeurs. Or il se pose quelques questions importantes au sujet de Karim Wade aujourd’hui : premièrement, quel homme politique, quel Sénégalais est-il devenu après ces années de prison? Deuxièmement, peut-il être ce candidat-là qui va favoriser les retrouvailles des leaders de l’opposition issus de la famille libérale? Troisièmement, comment le PDS va-t-il se choisir un candidat à travers une démarche transparente et consensuelle qui saurait éviter son implosion? Vous savez, le Président Abdoulaye Wade peut être autant la force que le talon d’Achille du PDS. La force, il l’est par l’expérience qu’il porte, par ce qu’il représente dans l’imaginaire des Sénégalais comme parcours politique, comme intelligence politique, comme patriotisme, comme réalisations économiques. Mais il peut aussi être le point faible de la formation libérale si, dans son implication dans la désignation du futur candidat à la présidentielle du PDS, il n’arrive pas à adopter une posture qui le situe au-dessus de la mêlée et qui le protège contre toutes les critiques de favoritisme ou de manipulation politicienne. C’est seulement à ce prix qu’il peut aider à éviter l’implosion de son parti.
25 Commentaires
Lebaolbaol Tigui
En Février, 2015 (13:19 PM)???
En Février, 2015 (13:46 PM)Pablito
En Février, 2015 (13:47 PM)J aimerais correspondre avec le professeur. Je vous ai envoyé un email sur votre adresse professionnelle. J aime vous lire
Haade
En Février, 2015 (13:50 PM)Farra
En Février, 2015 (13:59 PM)J aime la contribution
Hassaned
En Février, 2015 (14:12 PM)Oui l'islam c est aussi l autocritique
Hats off
Adama2004
En Février, 2015 (14:27 PM)Qui va les former? Et comment?
Marwad
En Février, 2015 (14:37 PM)Bonne suite pour le Forum sur le halal
Davidd
En Février, 2015 (14:47 PM)Bg
En Février, 2015 (14:50 PM)Ramasamb
En Février, 2015 (14:58 PM)L islam est captivé par des cons qui font mal aux musulmans.
La vie politique sénégalaise est sous l'emprise de cons
Hady
En Février, 2015 (16:16 PM)Ceux qui sont rentres et qui se croient intellectuels ou chercheurs ont déçu
Quittez le Canada, les USA, la France pour venir mener le combat du développement
L'homme
En Février, 2015 (16:38 PM)Que dire de cette justice qui a dit le non lieu sur Jean-LEFEVRE sur la route Fatick -Kaolackh
autant d'autres cas dont le droit n'a pas été dit.
Donc ne comptez pas sur cette justice vomit par tous les sénégalais.
Arissoi
En Février, 2015 (16:44 PM)Gondiel Ka
En Février, 2015 (16:48 PM)Salutations sincères!
GK,poulo
Élimanel
En Février, 2015 (16:49 PM)Tu en as été victime professeur Fall alors que tu ne feras pas de mal à une mouche
Ismailand
En Février, 2015 (17:56 PM)Les gens abusent même de lui
???
En Février, 2015 (18:34 PM)Daanuleer
En Février, 2015 (19:06 PM)Faac
En Février, 2015 (21:23 PM)Amsatall
En Février, 2015 (23:26 PM)Félicitations
Atypico
En Février, 2015 (02:12 AM)Kfall
En Février, 2015 (03:01 AM)Un compatriote sénégalais a attiré mon attention sur votre commentaire qu'il trouvait fort intéressant.
Thanks
Sakhirmbow
En Février, 2015 (16:47 PM)Amsatall
En Mars, 2015 (23:20 PM)Ils se sont alliés à Cheikh Diallo le traître pour vous discréditer Je sais ce qui s est passé
Ils vous ont envie votre proximité avec le Pm et Diallo connaissait votre habileté à anticiper sur ses manigances politiques
Vous êtes encore leur souffre douleur
Attention Prof analysez le pourquoi des difficultés actuelles de vos projets sur le halal
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