Lorsqu’on entre en prison pour la première fois, le sol semble se dérober sous nos pieds. Lorsqu’on y sort, on est assailli par une multitude de sentiments. Comment serons-nous accueillis par nos familles?? Y a-t-il quelqu’un qui nous attend dehors?? Comment devrons-nous nous comporter?? Ces questions, tous les détenus qui sortent fraichement de prison se les posent. Chaque soir, vers 18 heures, des scènes pathétiques se jouent, près du portail de la prison qui donne sur le quartier de Rebeuss. Entre scènes de joie et sanglots, les retrouvailles sont empreintes d’émotion. Seneweb y a fait un tour.
18 h. Le soleil commence à décliner, même si ses rayons gardent encore leur vivacité. La brise de la mer, située à un jet de pierre des lieux, sur la Corniche Ouest, distille une couche de fraicheur. Devant la porte de la prison de Rebeuss, aucun garde pénitentiaire n’est en faction. Tous sont de l’autre côté de ce bâtiment érigé en 1929. Le grand portail de cette mythique geôle, surnommé « 100m2 » du fait de sa surface ou « Rebeuss » du nom du quartier qui l’héberge, ne s’ouvre que quand la voiture qui transporte les détenus va ou revient du tribunal. Ou, quand certains gardes sortent de la bâtisse.
En face du grand portail de la prison attend un groupe de personnes. Exposées à l’air libre, elles sont venues attendre un parent, un ami ou un proche qui devra humer l’air de la liberté après des jours, des mois voire des années de détention dans cette sinistre prison. L’ambiance est morose. Les visages sont fermés. L’attente est longue et épuisante. D’aucuns s’efforcent à parler pour cacher leur angoisse. D’autres n’ont pas le cœur à la parlotte. Ils des des épouses. Des mères. Des pères. Des oncles. Des collègues. Des amantes. Ils attendent tous l’arrivée d’un être cher, au moment où d’autres, restés à la maison, ne cessent de les appeler pour venir aux nouvelles. Les portables crépitent sans cesse. Toujours les mêmes réponses : « On attend toujours. Ils ne sont pas encore libérés ».
Cri d’une mère : « Mon fils est condamné à tort »
Dans cette foule, une dame de teint clair, la cinquantaine, drapée d’une robe en wax, un foulard sur la tête attire l’attention. Elle est assise à même le sol. Sur son visage se lisent fatigue, faim et angoisse. Elle est présente sur les lieux depuis 12 h. Accompagnée de son fils ainé et de sa belle-fille, elle n’arrête pas de répéter que son fils est condamné par erreur. « Depuis ce matin, je suis là à attendre mon fils. On nous a dit qu’il serait libre depuis hier et jusqu’à présent, il n’est pas sorti. C’est ce qui m’inquiète », se lamente-t-elle d’une voix pleine d’amertume. Son récit est entrecoupé par des larmes qui perlent sur son visage. Puis, n’en pouvant plus et de peur de sangloter en pleine rue, elle se lève et se cache des regards indiscrets. Ce qu’elle ressent au tréfonds de son âme, elle est la seule à le savoir.
Les minutes filent. Le voile noir de la nuit commence à entourer Rebeuss. Il est 19 heures 28 minutes lorsque les deux premiers détenus libérés franchissement le grand portail de la prison, des sachets en plastique à la main. Comme s’ils avaient peur qu’on les rappelle pour leur signifier une erreur du greffe et les ramener en cellule, ils marchent à grands pas et parcourent en quelques enjambées les quelques mètres qui séparent la prison de la porte qui donne sur le quartier de Rebeuss. Chemise négligemment portée, l’un des détenus libérés, un homme costaud et élancé, un bol à sa main gauche et un sachet en plastique bleu qui contient ses biens, arrive à hauteur de la foule. Il s’arrête quelques instants, scrute les visages des uns et des autres sans voir un regard familier avant de poursuivre sa route sans se retourner. Personne ne l’attend. Il est un habitué de la geôle.
« Pouvez-vous m’indiquer le chemin de Nord Foire?? »
L’autre aussi n’a trouvé personne pour l’accueillir à sa sortie de prison. Après 6 mois d’incarcération, cet homme, âgé de 41 ans, originaire de Louga, habillé d’un ensemble noir, un chapelet enroulé sur son poignet, a du mal à retrouver son chemin. Après deux aller et retour, il se résout enfin à demander où est-ce qu’il peut trouver un moyen de transport qui peut le conduire à Nord Foire chez son frère. Il révèle qu’il ne connait rien de Dakar, qu’il était en Europe et qu’il a été arrêté, jugé par le tribunal correctionnel de Dakar et condamné à 6 mois ferme pour un délit qu’il n’a pas commis.
Une troisième personne sort des entrailles de Rebeuss. Âgé d’à peine 20 ans, il marche la tête baissée, un sachet en plastique à la main. Vêtu d’un pantalon Jean et d’un Lacoste, il semble perdu. Sa démarche est lente. On dirait qu’il a perdu goût à la vie. Ce qu’il a vécu à l’intérieur semble le tracasser. Deux hommes plus âgés volent à son secours. Ils l’enlacent longuement comme s’ils sont restés des décennies sans se voir. L’ex-prisonnier, ne pouvant se contenir, laisse éclater ses sanglots. Ses accompagnants l’enlacent, le réconfortent et s’éloignent peu à peu de la foule avec lui, avant de disparaître, comme ils étaient venus.
« J’attends toujours mon fils, mais il n’est pas sorti... »
De toutes les personnes qui sont sorties de Rebeuss, ce jour-là, Ibrahima semble être celui qui était le plus attendu.
Un peu avant 20 heures, un homme vêtu d’un pantalon Jean et d’un tee-shirt blanc franchit la porte de la prison. Une voix aiguë, celle d’une dame, déchire le crépuscule. La dame, âgée d’une quarantaine d’année, de teint clair, ressemblant à une Cap-Verdienne, habillée d’une robe assortie d’un foulard qui lui couvre la tête, ne cesse de crier : « Ibrahima, Ibrahima, Ibrahima… ». Elle sanglote et applaudit en même temps à la vue de l’ex-pensionnaire de Rebeuss. Elle a visiblement beaucoup d’affection pour l’homme qu’il attendait. Pourtant, cette dame n’est ni la mère d’Ibrahima ni sa tante, elle est plutôt la mère de... sa copine.
Lorsqu’Ibrahima l’a aperçu, il s’est empressé d’aller vers elle. La dame l’enlace longuement, le réconforte, l’embrasse sur la joie. Ensemble, ils marchent l’un dans les bras de l’autre jusqu’à ce que la nuit les couvre du voile de la pudeur.
Ces scènes, cette dame qui attend son fils depuis 12 heures les vit blotti dans un coin. Le vent frais qui souffle à cette heure sur Dakar commence à lui donner des frissons. D’un ton mélancolique, elle dit : « j’attends toujours mon fils ».
Elle attendra en vain. Un garde pénitentiaire qui l’a pris de pitié viendra lui apporter la mauvaise nouvelle : « les sorties sont terminées, aucun détenu ne sera plus libéré aujourd’hui ».
La dame ne l’entend pas de cette oreille. Elle attendra encore un heure, heures, jusqu’à 22 heures, avant de se résoudre de rentrer chez elle, la mort dans l’âme, les larmes aux yeux. Elle ignorait en ce moment que son fils ne sortirait ni le lendemain ni le surlendemain puisqu’il est détenu pour autre cause. Un autre mandat de dépôt l’a cloué en prison et son dossier en instruction. Mais cela, personne n’a pu l’expliquer à la pauvre dame. C’est aussi ça Rebeuss. Si les détenus souffrent de surpopulation et de longue détention, d’autres drames se jouent tous les jours, à l’extérieur.
10 Commentaires
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En Février, 2016 (14:48 PM)Anonyme
En Février, 2016 (14:51 PM)Samko
En Février, 2016 (14:53 PM)Anonyme
En Février, 2016 (14:54 PM)Anonyme
En Février, 2016 (15:49 PM)Anonyme
En Février, 2016 (15:53 PM)Weuz
En Février, 2016 (15:56 PM)Anonyme
En Février, 2016 (16:40 PM)Anonyme
En Février, 2016 (17:40 PM)Anonyme
En Février, 2016 (17:54 PM)Participer à la Discussion