Chronique du lundi : L’opprobre comme auréole

Définitivement, 2015 n’en finit pas de finir ni 2016 de commencer : sur le mode de la décadence et le registre d’une terreur inédite, mais qui ne terrorise plus ni les victimes ni les bourreaux. Le monde se transforme irrésistiblement en espace purement médiatique et dramaturgique où les plus saintes horreurs ne sont plus que de simples éléments de communication, ritualisés jusqu’à la banalité. Cette exploration des ressources du pire, le ricanement ironique de Voltaire l’avait annoncée : « Les hommes sont toujours comme Dieu les a faits, et bien souvent pires. » Mais aujourd’hui, la commission du pire est religieusement perçue comme une action de grâce qui fait mériter le paradis. C’est dans cette improbable croyance que le 1er aout 2015, des extrémistes israéliens ont massacré une famille palestinienne, dont un bébé de 18 mois. Cette horreur était pour eux une formidable « Jihad » pour débarrasser la terre de cette souillure des musulmans et les Palestiniens!

Le 2 janvier 2016, l’Arabie Saoudite sunnite, qui abrite en toute sainteté les plus grandes caves de vin du monde, a exécuté 47 « terroristes », dont le dignitaire chiite Cheikh Al Nimr. Il en a découlé des conséquences géopolitiques surabondamment médiatisées, uniquement en raison du poids économique et géostratégique des deux puissances en cause : l’Arabie saoudite et l’Iran. Depuis quelques jours, toute la communauté internationale se déploie littéralement pour éviter l’embrasement de notre planète, que le terrorisme et les exactions d’un capitalisme dégénéré ont déjà définitivement consumée. Au cœur de cet enfer, « Jihadistes » et grandes puissances occidentales sont tout à la fois les prisonniers et les acteurs d’un même système totalement perverti, où la croissance, objet et objectif de toutes les convoitises, ressort de toutes les énergies, ne mène qu’à une excroissance autorisant tous les excès. Ces obscurs illuminés que l’on nomme « jihadistes » ne sont ainsi que des impies que leurs actions impies excluent de cette sublime religion dont ils se réclament. De fait, le « terrorisme islamiste » ne cherche ni à défendre ni à illustrer l’Islam : c’est plutôt un déploiement aveugle de l’art de vaincre sans convaincre et sans avoir raison. Ses véritables enjeux sont surtout financiers et se jouent dans un triple trafic : le pétrole, les armes et la drogue. Si bien que suivant la logique hégélienne du maître et de l’esclave, ils s’auto-condamnent à la clandestinité. Et, du fond de leurs ténèbres, ils prétendent éclairer le monde. En semant la terreur, ils sont eux-mêmes prisonniers de leur propre terreur. Cette ingratitude vis-à-vis de l’Islam en fait des malheureux. Car « les malheureux, selon Hugo, sont toujours ingrats, cela fait partie de leur malheur. » Pourtant, ce terrorisme n’est qu’un épiphénomène du modèle terroriste occidental, dont la plus parfaite illustration est l’enfer imposé aux Palestiniens sur leurs propres terres par Israël, que tout l’Occident vénère. Roger Garaudy l’avait dit : « L’Occident est un accident. » Son processus de sécularisation a réduit l’homme en simple rouage d’un système où l’efficacité et la rentabilité sont les seules garanties d’intégration et de légitimité. Pour ces dégénérés qui se croient maîtres de l’univers, le mal, c’est la différence. La folie meurtrière des terroristes leur offre ainsi une opportunité historique : sommer tous les musulmans de prouver qu’ils ne sont pas des terroristes et débarrasser la très sélective société occidentale de tous ses misérables, sous prétexte de penchants « jihadistes ». Mais l’Islam est une religion sans épithète dont le texte fondateur est le Saint Coran, que le Prophète a pratiqué et enseigné : nulle trace de telles exactions dans ces deux sources de la vie de tous les musulmans. De plus, suivant la logique mercantiliste du capitalisme occidental, la toile sert de tribune à la propagande « jihadiste » pour faire miroiter aux « misérables » de la modernité, la sécurité matérielle ici-bas et le salut dans l’au-delà. Ainsi, ce ne sont ni des musulmans ni des étrangers, mais des Occidentaux, qui retournent contre l’Occident sa propre terreur. Finalement, en 2016 comme en 2015, le monde ne sera ni meilleur ni pire.

L’Europe continuera à imposer ses certitudes comme le moteur de l’Histoire. Le Saint Coran et la Sunna du Prophète susciteront toujours des interprétations abusives, sources de toutes sortes d’abus commis par d’obscurs illuminés. Dans cette société globalisée sur fond d’injustices et d’inégalités, les faibles voudront toujours être forts, y compris par le mal. Si bien qu’aujourd’hui, pour des raisons et des motivations totalement extérieures à la religion et au bien-être de l’homme, la commission du mal se précise de plus en plus comme la voie idéale du bien. Telle est l’image terrifiante que nous offrons de notre monde en 2016. Comme en 2015. Le mal est combattu et par le mal, et tous prétendent être au service du bien. Cela, Victor Hugo l’avait dit : « Pour ceux dont le mal est l’idéal, l’opprobre est une auréole. »