Le premier gouvernement réaménagé du président Macky
Sall s’est réuni en conseil des Ministres le vendredi 2 novembre 2012. Il aura auparavant fait
l’objet de beaucoup de commentaires, qui
continuent d’ailleurs d’aller bon train. De ce réaménagement, on peut retenir
quelques leçons :
1 – Le Gouvernement est passé de 25 à 30 membres,
contrairement aux engagements formels et plusieurs fois réitérés du candidat
Macky Sall. Il s’est donc dédit, il a fait du wax waxeet. Des voix se sont levées curieusement pour justifier ce wax waxeet, qui n’en serait pas
d’ailleurs un, à leurs yeux. Parmi ces défenseurs de l’injustifiable,
figure un grand homme de communication qui a avancé que ce wax waxeet ne peut pas être comparé à celui du président Wade,
parce qu’il ne met pas en cause les institutions. Peut-être, a-t-il oublié que le président de
la République, qui qu’il soit, est la clé de voute de toutes nos institutions,
en particulier de la première qu’il incarne. Un autre, chef d’un minuscule
parti connu jadis pour son discours dévastateur qui balayait tout sur son
passage, fait une différence entre le wax waxeet positif et le wax waxeet négatif. Il est vrai que,
entre temps, il est devenu Pca.
Finalement donc, on banalise le wax waxeet, le reniement de
la parole donnée et de l’engagement pris. Tout le monde peut se permettre
désormais, chez nous, de prendre formellement et publiquement un engagement et
de s’en dégager sans frais quelques jours ou quelques mois après.
Nous nous rappelons encore ces mots terribles du
président Wade : « les promesses n’engagent que ceux qui y
croient ». Le wadisme est
donc encore incrusté dans nos mentalités, sept mois après l’avènement de la
seconde alternance démocratique, de laquelle nous attendions pourtant une
rupture profonde.
2 – L’argument-prétexte pour augmenter la taille du
Gouvernement, c’était de permettre à tous nos compatriotes de s’y reconnaître.
Tâche titanesque qui nous fait penser au fameux dosage. Le président de la
République est libre de ses choix. Il peut tenir certainement compte des différents
équilibres, mais ne devrait pas en faire une fixation. La République est une,
la Nation est une. Le ministre, qui
qu’il soit, est le ministre de la République, de la République tout court. Peu
nous importe ses différentes appartenances ! Le principal pour nous
est qu’il ait le profil professionnel et moral requis pour exercer cette
importante fonction, et s’en acquitte honorablement. Dans les grandes
démocraties, certaines préoccupations n’habitent pas les chefs d’État ou de
gouvernement.
On pourrait même craindre que le choix du président de
la République de rééquilibrer le Gouvernement produise des résultats à mille
lieues de ceux qui étaient attendus. N’a-t-il pas finalement ouvert la boîte de
pandore en se hasardant à ce fameux souci de dosage ? D’ores et déjà, dans
plusieurs localités, des voix se font entendre pour réclamer leur place dans le
Gouvernement. D’autres encore ne se reconnaissent point dans les ministres
nommés pour les représenter dans le Gouvernement. Pour ne donner qu’un exemple,
la dame qui est nommée Ministre chargée des Sénégalais de l’Extérieur fait
l’objet de beaucoup de commentaires qui sont loin de lui être favorables. Elle
serait très peu connue dans la ville qu’elle est sensé représenter. Elle
n’aurait surtout pas le profil qu’on lui a taillé et nous serions heureux
qu’elle rende public le doctorat de troisième cycle dont elle a déclaré être
titulaire. De même, l’un des nouveaux promus (à l’agriculture) qu’on nous a
présenté comme un éminent professeur d’université ne le serait pas encore. Il
est assistant à la Facultés des Sciences économiques et de gestion de l’Ucad.
Nous connaissions déjà ce vilain penchant, du temps des Wade, à gonfler des CV
presque vides, et nous espérions qu’ils l’avaient emporté dans leurs lourds
bagages. Apparemment, nous ne nous en sommes pas encore débarrassés. Les nuages
du wadisme sont loin, très loin de s’être dissipés. Ils assombrissent encore
gravement notre atmosphère.
3 – Il ne suffit pas, non plus, d’augmenter la taille
d’un gouvernement pour en rendre l’action plus efficace et plus efficiente. Une
grande puissance comme les États-Unis d’Amérique ne compterait pas plus de
quinze ministres dans son gouvernement. Une autre, le Japon, en compte 18. Tandis
que le gouvernement d’un Joseph Kabila serait lourd d’au moins 40 ministres.
Pour autant, qui ose seulement avoir le toupet de comparer l’efficacité et
l’efficience du gouvernement congolais (Kinshasa) à celles des deux
précédents ?
Ce qui importe davantage donc dans les objectifs
assignés à un gouvernement, c’est moins le nombre que la qualité des hommes et
des femmes nommés pour l’animer. Ces derniers doivent avoir le profil de
l’emploi. En particulier, ils ne doivent pas venir de nulle part comme ceux
auxquels les Wade nous avaient habitués. D’un ministre de la République digne
de ce nom, on s’attend à ce qu’il réunisse au moins les qualités suivantes :
une compétence et une expérience – de préférence des affaires publiques – avérées, une bonne moralité ne faisant
l’objet d’aucun doute, une large ouverture d’esprit, un esprit d’entreprise,
une capacité d’adaptation.
Ces qualités, même indispensables, ne suffiront
d’ailleurs pas. Le ministre doit avoir une vision claire de la politique qu’il
est chargé d’appliquer, de la mission dont il est investi. C’est l’animateur
d’une équipe à la mise en place de laquelle il doit prêter une attention
particulière. Les hommes et les femmes qui constituent son cabinet et ses
autres collaborateurs du ministère doivent être choisis parmi les meilleurs et
appartenir, autant que possible, à la Fonction publique. Il doit surtout
éviter, dans la nomination de ses collaborateurs, de n’avoir d’yeux que pour
ses parents, ses amis, ses camarades de Parti, pendant que son ministère ou
d’autres structures de l’Administration regorgent de ressources humaines de
qualité.
Du temps des Libéraux, des anciens Libéraux, les
ministères étaient des fourre-tout et nombre de nos compatriotes en profitaient
pour se faire recruter dans la Fonction publique, à laquelle ils ne pouvaient
apporter aucune valeur ajoutée.
C’est d’ailleurs le lieu de rappeler ici une vieille tradition qui
remonte à la gouvernance du président Senghor, puis à celle de son successeur.
Après la formation de chaque nouveau gouvernement ou un profond remaniement
ministériel, le président de la République et le Premier ministre (à partir de
février 1970) adressaient des instructions générales aux ministres. Celles-ci
étaient relatives, pour ne donner que quelques exemples, à la composition des
cabinets ministériels, à l’organisation du travail gouvernemental, à la
préparation et à la présentation des décrets, à la
déconcentration des pouvoirs au sein des départements ministériels, etc. Rien
n’était négligé. Ainsi, toutes les catégories de conseils (de cabinet, interministériels
permanents ou occasionnels) et de réunions interministérielles dont
l’importante réunion de coordination que présidait tous les samedis le
Secrétaire général de la présidence de la République, faisaient l’objet de
textes précis. Il est vrai que cet important travail était facilité, à l’époque,
par le Secrétaire général de la présidence de la République, celui du
Gouvernement, le Directeur de Cabinet du président de la République, celui du Premier ministre qui avaient tous le
profil de l’emploi. Tout ce monde bénéficiait de l’appui éclairé du Bureau
Organisation et Méthode.
Il ne serait pas
superflu de s’appesantir sur l’Instruction
n ° 16 P.R. du 1er mars 1968,
relative aux cabinets ministériels. Elle distinguait les conseillers techniques du cabinet du ministre
et les conseillers techniques du ministère,
et précisait les conditions de choix des membres des cabinets. Ces derniers devaient jouir de leurs droits
civiques et politiques, être d’une honorabilité incontestable et posséder les
compétences et la formation requises pour collaborer au plus haut niveau à la
fonction ministérielle. Dans cette perspective, les directeurs et
conseillers techniques devaient être titulaires d’un diplôme d’enseignement
supérieur (ou d’un diplôme d’ingénieur), ou appartenir à la hiérarchie A de la
Fonction publique. Et le Président Senghor
de préciser alors qu’il n’accepterait aucune dérogation à cette règle,
dont l’application était soumise au contrôle strict du Secrétariat général de
la Présidence de la République.
L’instruction
définissait également les conditions matérielles des membres de cabinets et
précisait nettement que ceux d’entre eux qui n’appartenaient pas à la Fonction
publique percevaient, conformément à la loi en vigueur, une rémunération
correspondant à leur qualification professionnelle, selon les règles appliquées
au recrutement d’agents contractuels ou décisionnaires. Leur décision ou contrat d’engagement à titre
précaire et révocable, comportait obligatoirement la clause suivante :
« Le présent contrat – ou la présente décision
d’engagement – prendra automatiquement fin au plus tard en même temps que
cesseront les fonctions du Ministre auquel M. X… apporte sa collaboration ».
Le président
Senghor voulait éviter ainsi l’utilisation des cabinets ministériels comme voie
clandestine d’accès à l’Administration. L’instruction précisait ainsi que
« lorsque cessent les fonctions d’un Ministre, ceux de ses
collaborateurs personnels qu’il avait cru devoir recruter hors de
l’administration, cessent de plein droit d’appartenir à celle-ci à quelque
titre que ce soit ».
On n’intégrait donc
pas facilement notre Fonction publique, qui était l’une des meilleures
d’Afrique. Elle n’était surtout pas infestée d’individus venus de nulle part,
comme c’est le cas aujourd’hui. Il était
également hors de question d’accorder de grosses indemnités ou d’augmenter
notablement des salaires au détour d’une simple audience.
On peut vérifier
toutes ces informations en consultant les différents manuels (« Textes
relatifs à l’organisation politique et administrative du Sénégal ») qui
recueillaient les textes fondamentaux, et que la présidence de la République
faisait publier périodiquement par l’Imprimerie nationale.
4 – Il y a aussi
que – et il faut le souligner avec force –, les ministres, même compétents, ne
sont pas forcément nommés pour toute la durée du mandat présidentiel. Ils
peuvent être à tout moment, pour une raison ou pour une autre, mis fin à leur
fonction. Quelques départs du Gouvernement n’ont pas du tout été appréciés dans
certains cercles. Le président de la
République n’a pas de « kollare », fulmine-t-on ça et
là. Il ne devrait, en aucun cas, se séparer de quelques-uns de ses vieux
compagnons. La République ne connaît pas l’amitié, la parenté, le militantisme
partisan, le « kollare » (la reconnaissance). Elle connaît, par contre,
les citoyens et les citoyennes qu’elle doit traiter au même pied d’égalité.
Elle a le devoir de les sanctionner positivement ou négativement en fonction de
leurs comportements.
5 – Des ministres
ont été limogés et immédiatement promus à d’autres fonctions. Pour ne donner
qu’un exemple, si Monsieur Abdou Lo a été remercié pour – peut-être –
insuffisance de résultats, il ne devrait pas être bombardé Directeur général de
l’Artp, dont le management exige au moins les mêmes compétences que celui du
Ministère d’où il a été relevé. On relève la même incohérence avec la nomination
de Mbaye Ndiaye en qualité de Ministre d’État.
Il serait encore
possible de tirer au moins trois ou quatre autres leçons du réaménagement
gouvernemental du 29 octobre 2012, si ce
texte n’était pas déjà long. Les
différents arguments avancés pour le justifier ne sont pas forcément
convaincants. L’efficacité et l’efficience de l’action gouvernementale ne
dépendent pas de la taille du gouvernement ni, par ailleurs d’un quelconque
rééquilibrage. Dans ce réaménagement, les amis et camarades du président de la
République se sont taillé la part du lion. On y perçoit aussi le souci de faire
plaisir à certaines capitales de confréries. La préoccupation affichée d’efficacité et d’efficience cache
mal le souci politicien et électoraliste qui nous éloigne de plus en plus de
l’engagement ferme du candidat Macky Sall à mettre en œuvre « une
politique sobre, vertueuse, efficace et de rupture », et à « réduire
de façon drastique le nombre des directions et agences nationales. » De même,
son slogan « La Patrie avant le Parti » se fracasse, chaque jeudi, sur
le roc de granit de ses différentes nominations.
Il n’y a plus aucun
doute que, si on plaçait sur les deux plateaux d’une balance d’un côté la
Patrie et de l’autre le parti, celle-ci pencherait irrémédiablement du côté du
parti. Je peux bien en attester, pour avoir ouvert un dossier à toutes les
nominations prises en conseils des ministres, du premier au dernier réuni le 2 novembre 2012. Nombre d’agences et de
directions nationales héritées des Wade ou créées par les nouveaux gouvernants,
ne sont maintenues que pour récompenser des militants ou trouver des sinécures
faciles à des parents ou à des amis. Ce choix manifestement politicien et
électoraliste est l’une des raisons majeures qui expliquent la débâcle du vieux
président Wade, le 25 mars 2012. Le président Macky Sall a intérêt à ne jamais
oublier qu’il est le président de tous les Sénégalais, des 65 % qui l’ont élu comme de tous les autres, et
que la voie royale, pour être réélu en 2017, c’es le respect rigoureux de ses
engagements. Le wax waxeet est immoral et ne conduit à rien de bon.
Mody Niang,
e-mail : [email protected]
.
5 Commentaires
M2
En Novembre, 2012 (12:15 PM)Faye
En Novembre, 2012 (12:21 PM)Sawaarak
En Novembre, 2012 (12:23 PM)Mama
En Novembre, 2012 (15:53 PM)Professeur
En Novembre, 2012 (18:59 PM)Je me suis mis a rêver: si j'avais des responsabilités politiques s'entend, je souhaiterais avoir un homme comme Mody Niang pour me faire la critique et me porter la contradiction.
Ce texte est d'une clarté et d'une efficacité en ce qu'il dénonce les travers de ce nouveau régime avec célérité.
Merci Monsieur Niang.
D'ailleurs je me demande pourquoi ces critiques de bon sens n'ont elles pas été faites par les prétendus conseillers du président?
Tout ce que dénonce ce compatriote est vrai, exact et conforme à l'intérét du sénégal.
Bravo Mr Niang, merci pour le sénégal et ce que vous faites.
PNM
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