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Ndengler : Rendez-leur leurs terres! Un point c'est tout! (Par Ndiaga Loum)

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Ndengler : Rendez-leur leurs terres! Un point c'est tout! (Par Ndiaga Loum)
Comme souvent, avant d'écrire sur un sujet digne d'intérêt, j'écoute, je lis, je prends note.

J'ai écouté l'avocat Boucounta Diallo, fort justement indigné et avec cet art de la précision dans les détails, nous apprendre comment la simple signature d'un chef d'État peut faire d'un citoyen ordinaire un milliardaire.

En l'occurrence, en s'accaparant les terres des paysans de Ndengler, l'entrepreneur Babacar Ngom peut passer de son capital de 2 milliards au pactole de 22 milliards au plus ou 12 milliards au moins, s'il décidait demain de commercialiser les 300 hectares à lui octroyés, grâce à la signature du Président lui permettant de passer d'un bail à un titre foncier. Ça, on le savait déjà, peut-être!

J'ai écouté Ahmed Khalifa Niasse nous apprendre comment un État peut déposséder de leur usage des terres des paysans en évoquant la force légale d'un État moderne légitimé à classifier, déclassifier au nom d'un hypothétique intérêt public. On opposerait ici la loi de l'État moderne régalien et souverain au droit coutumier consacré par l'usage. Ça aussi, on le savait déjà, peut-être. Même si le marabout, en toute lucidité, précise que dans le cas d'espèce (celui de Ndengler), ce serait injuste voire humainement méchant d'opposer le droit consacré d'un riche privilégié aux pauvres démunis.

J'ai enfin écouté l'entrepreneur Babacar Ngom nous demander d'éviter d'être les "jouets" des émotions des paysans indignés tout en invitant - suprême ironie - à jouer avec nos propres émotions en nous rappelant son passé de "pauvre" squattant la piaule d'un "boujouman" à quelques encablures du célèbre dépôt d'ordures de Rebeuss et où s'entassaient, femme, enfant, mère et frère. Triste, n'est-ce pas! Suffisant pour ouvrir le robinet du liquide lacrymal? Ndeyssane ! Sauf que cette situation ancienne racontée avec tant d'émotion scénarisée est similaire à celle que vivent aujourd'hui des milliers de personnes de la banlieue qui ne peuvent se payer le luxe d'un cérémonial au décor orné par la présence de médias triés sur le volet pour s'apitoyer sur leur sort et implorer l'empathie du public.

J'ai entendu aussi l'entrepreneur faire la démonstration de sa magnanimité, lui qui ne demande qu'à aider de pauvres paysans invités à renoncer à leur "culture du pauvre" en acceptant d'être les employés d'une entreprise d'agro-business moderne. Quel paysan serait si absurde pour refuser de substituer à ses haillons froissés et souillés le blanc immaculé et griffé de ces nouveaux paysans endimanchés ?

Mais, Diantre, pourquoi insister à aider des gens qui vous disent qu'ils ne veulent pas de votre aide ? Votre insistance est en fait l'expression d'un complexe déformant qui exhale à mille lieux l'odeur nauséabonde d'un mépris de classe à l'endroit de ses semblables d'hier mais à qui on ne voudrait plus ressembler aujourd'hui.

J'ai aussi entendu l'entrepreneur Babacar Ngom parler de légalité et de légitimité, même si sa compréhension de ce dernier terme ici est très largement déficitaire, peut-être involontairement lacunaire, sinon de façon délibérée rigoureusement biaisée.

Mais je ne voudrais m'enfermer dans une réflexion académique qui interroge l'ontologie, l'heuristique et l'historique d'un concept à la signification appauvrie par un empirisme primaire vite banalisé par l'usage populaire. Après tout, chacun a le droit de revendiquer son droit à l'ignorance comme celui à l'éducation est devenu brusquement obligatoire au grand dam de la liberté de ceux qui ont choisi de ne rien savoir.

La question ici est en fait très simple : peut-on ou doit-on se targuer de faire du bien contre la volonté des destinataires de votre action si magnanime soit-elle ? Comme sur beaucoup d'autres sujets (le mandat présidentiel par exemple, pardon!) la question ici n'est pas une question de droit, mais d'éthique. Quand la colonne du droit met du temps à se former, la question éthique, c'est celle qui vient d'urgence en zone sinistrée pour apporter les premiers secours : ce que je fais aux autres, aurais-je voulu qu'on le fasse à moi ou à mes plus proches ? Vous voulez faire du bien, vos interlocuteurs n'en veulent pas, vous leur imposez la force corruptible du droit et la puissance publique d'une administration complice et aux ordres (délibération, bail, déclassification, titre foncier, gendarmerie).

Et vous êtes content, sans aucune once de gêne, prétendre vouloir nourrir quelqu'un qui vous répète "à satiété" qu'il n'a pas faim ? J'ai aussi appris de la bouche de l'entrepreneur qu'un corps militarisé de l'État (la gendarmerie) pouvait être privatisé pour assurer la jouissance personnelle paisible et indue d'un espace "légalement volé" à ses occupants habituels. Bravo pour une telle démonstration publique d'une force privatisée ! Sans farce !

Il appert, durant tout cet exercice laborieux de communication publique que votre objectif est de convaincre le peuple sénégalais qui vous écoute et à qui vous demandez d'arbitrer pour jauger votre générosité et juger de votre bonne foi, que vous voulez aider des pauvres paysans qui, eux, ne veulent pas qu'on les aide. Dieu, sur les 70% d'espace rural disponible, il n'y a que les paysans de Ndengler-Djilakh à qui faire subir votre test de générosité Gentleman farmer ?

En suivant la logique de votre raisonnement drôlement simpliste, leur rétrocéder les terres réclamées serait pour vous alors une sorte de non-assistance à personne en danger. Lamentable et méprisant ! Juste pour votre égo ! Ceux qui ont mis ces mots dans votre bouche sont aussi lamentables que vous. Cet exercice sorcier de relations publiques produit l'extrême inverse voire perverse de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire susciter la sympathie qu'aurait dû créer cette narration émotionnelle de la "culture du pauvre".

En rappelant votre passé de pauvre devenu riche pour susciter des vocations, on ne retiendra finalement que le désir d'une revanche sociale exercée sur des gens qui ont eu le malheur d'emprunter les escaliers quand d'autres comme vous se bousculaient dans l'ascenseur social. Leur refus de "bouffer" ces 2 millions de "goureu" est l'illustration de la profondeur abyssale des différences de modes et des mondes de valeurs auxquels vous appartenez respectivement.

En fait, c'est là la véritable source de votre conflit : vous ne vous comprenez pas, parce que vous n'habitez pas le même monde, et ne raisonnez pas avec les mêmes codes de valeurs. À la place de la sympathie qu'auraient dû susciter vos promesses d'investissements et d'emplois, vous n'inspirez juste que du mépris. C'est ce qu'oublient de vous dire les initiateurs de cet exercice "carnassier" de relations publiques pour redorer un blason supposément terni par le lynchage sur les réseaux sociaux. On ne répond jamais à un problème de fond par un exercice de communication publique. Ce qu'ils oublient de vous dire, c'est qu'on peut être riche de ses milliards et être un pauvre d'esprit.

Pour vous, personnellement, et si vous persistez dans votre volonté d' "exproprier" ces pauvres paysans de Ndengler, ce sera la seule leçon à retenir de votre passage. Avoir été pauvre aurait dû vous rendre plus sensible à la cause des pauvres, loin de la raison d'être de l'entrepreneur éprouvée quotidiennement au gré de la fluctuation des opérations bancaires. Cette raison matérielle qui vous éloigne du réflexe primesautier de celui qui souffre et pleure de la tristesse que procurent ses actions apparentes de bienfaiteur à ses propres interlocuteurs. Cet exercice philosophique et éthique est parfois douloureux parce que coûteux en termes de potentielles pertes personnelles, mais il est nécessaire pour donner du sens autre que matériel à sa vie.

En persistant, l'image que vous laisserez à la postérité n'est pas celle d'un self made man parti de rien pour atteindre les sommets : dans 300 ans, ce qu'entendront vos descendants, c'est l'histoire horrible d'un riche homme d'affaires qui voulait "arracher" les terres de pauvres paysans de Ndengler. Un ami me disait que le plus difficile au Sénégal, lorsqu'on est riche ou quand on est au pouvoir, ce n'est pas d'avoir des amis ; le plus difficile, c'est d'avoir de vrais amis qui vous disent la vérité en toutes circonstances, n'ayant pas peur de courir le risque de s'éloigner de votre cercle de proximité immédiate.

Mais, seul, lorsque cet entourage exagérément complaisant et envahissant s'éloignera, posez-vous juste cette question : cette prospérité "vulgaire" et finalement précaire d'une vie qui n'est pas éternelle vaut-elle le jugement sévère et définitif d'une postérité éternelle ?

Ndiaga Loum, Ph.D, professeur titulaire, UQO
Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie
Directeur du programme de doctorat en sciences sociales appliquées


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