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La vérité sur la dénonciation des juifs pendant la guerre

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La vérité sur la dénonciation des juifs pendant la guerre

On n’en finira jamais, avec l’abjection. Dans «Dénoncer les juifs sous l’Occupation» (CNRS Editions), l’historien Laurent Joly s’intéresse à l’un des épisodes les plus sombres de la guerre, en France: la délation antisémite.

Qui sont les dénonciateurs ? Quels sont leurs motifs ? Quelle est l’importance de leur collaboration ? En dépouillant les archives judiciaires, l’auteur parvient à une conclusion étonnante: les dénonciations antijuives ont été moins nombreuses qu’on ne le pensait. Mais, en revanche, elles ont été plus efficaces, car suivies de mort, la plupart du temps.

Directeur de recherche au CNRS, auteur de «Vichy dans la "solution finale"» (2006), des «Collabos» (2011) et de «Naissance de l’Action Française», Laurent Joly donne ainsi un nouvel éclairage à un passé qui, décidément, ne passe pas.  

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Quelle est l’importance des dénonciations antijuives pendant l’Occupation ?

Laurent Joly. En commençant mon travail sur le sujet, j’avais cette idée reçue qu’il y avait eu des millions de dénonciations et que les juifs avaient été les principales victimes de la délation. Le chiffre souvent mentionné donnait entre 3 et 5 millions de lettres. En examinant les archives avec d’autres historiens, je me suis rendu compte que les dénonciations portaient en priorité sur le marché noir et sur les caches d’armes. On dénonçait plus fréquemment un voisin qui avait gardé chez lui son fusil de chasse que le juif caché dans le grenier.

En revanche, la dénonciation antijuive, elle, a sans doute été la plus efficace. Mon livre indique qu’après les grandes rafles, la Gestapo et la SS ont considéré que la population française était plutôt philosémite. Et qu’il valait mieux procéder de façon plus discrète que les rafles.

À partir de novembre 1942, il y a une brigade dirigée par le commissaire Permilleux, au sein de la préfecture de police de Paris, qui est chargée d’arrêter les juifs en infraction avec les ordonnances allemandes. Les rafles contre les juifs étrangers deviennent plus rares, et ceux-ci se cachent. Il faut donc les débusquer. C’est là que la délation est nécessaire.

Il y a plusieurs organismes, dans l’administration française, chargés de cette tâche…

Il y a d’abord le Commissariat général aux questions juives (CGQJ). C’est le ministère de l’antisémitisme de Vichy, la base de toute l’entreprise. Ses fonctionnaires s’occupent de la spoliation et du contrôle des juifs non déclarés. Cet organisme a un bras armé policier, qui se nomme la Police des questions juives (PQJ) puis la section d’enquête et de contrôle (SEC) après l’été 1942. C’est cette SEC, truffée d’activistes d’extrême-droite, qui va surtout exploiter les dénonciations antijuives pour le compte du CGQJ, provoquant plusieurs centaines d’arrestations.

L’aubaine, pour l’historien, c’est que le CGQJ a tenu un registre du courrier général qui nous est parvenu. 35000 lettres sont ainsi répertoriées et résumées. J’ai dépouillé cette source de manière exhaustive. De janvier 1942 à août 1944, j’ai recensé 1200 délations antijuives, soit 3,5 %. C’est peu et beaucoup à la fois: sur trente lettres qui arrivent chaque matin au CGQJ à Paris, il y a une dénonciation visant un ou plusieurs juifs…

Sur ces 1200 dénonciations, combien ont été suivies d’effet ?

Au début, environ une lettre sur dix est prise en considération. Puis, plus le temps passe, plus la persécution s’aggrave. En 1944, presque toutes les lettres sont suivies d’enquête. On racle même les fonds de tiroir, pour reprendre de vieilles délations. C’est que le directeur a changé. Joseph Antignac est à la tête du Commissariat général aux questions juives. C’est un forcené. Il sera d’ailleurs condamné à mort en 1949, et amnistié plus tard.

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Mais il n’y a pas que le Commissariat général aux questions juives…

Oui, le CGQJ, et son bras armé la SEC, exploitent directement les délations qui leur parviennent. Mais il y a d’autres officines spécialisées, à Paris plus particulièrement, qui travaillent pour le compte de l’occupant. Après les rafles de 1942, alors que les Allemands se rendent compte que le résultat de ces opérations est médiocre, le chef du service des Affaires juives de la Gestapo demande à René Bousquet, le chef de la police de Vichy, de créer un organe au service des Allemands. Ce sera la «brigade Permilleux», un service de la police judiciaire au sein de la préfecture de police de Paris. Au début, vingt-cinq inspecteurs. Et, à partir d’avril 1943, cinquante. La «brigade Permilleux» arrêtera, en deux ans, près de 5200 juifs en région parisienne. La plupart ont été déportés.

Combien sont revenus ?

Très peu. Selon Serge Klarsfeld, 74.150 juifs ont été déportés de France. Entre 3 et 4000 sont revenus.

Que sont devenus les dénonciateurs ?

Hélas, la plupart du temps, ils sont anonymes. A la Libération, on a essayé de poursuivre ceux qu’on pouvait identifier. Dans la hiérarchie de l’indignité, il y a le collabo qui a pris les armes au service des Allemands, puis, en deuxième rang, le délateur. Celui-ci est le traître par excellence. Dans le ressort de la cour de justice de la Seine, on a poursuivi 1600 personnes pour faits de dénonciation. Parmi celles-ci, 240 pour dénonciation de juifs. Une partie a été acquittée, et environ 150 peines ont été prononcées. Il faut savoir que les archives de la préfecture ont été détruites, et que le travail de recherche est compliqué.

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Au début de la guerre, les Allemands n’étaient que 30.000 pour tenir la France occupée. Sans la collaboration des Français, et sans la délation, ils n’auraient pas pu fonctionner…

Et encore, dans ces 30.000, on ne compte que peu de policiers. Le service policier allemand, au plus fort de sa présence, ne représentera qu’un dixième des effectifs de la police française… Les Allemands avaient totalement besoin de l’aide des Français.

Aloïs Brunner, chef SS du camp de Drancy en 1943-1944, impose un système de rétributions pour les délateurs: 150 francs au début, puis la somme va augmenter. En 1944, c’est le sommet, une année terrible pour les juifs. Ainsi, plusieurs inspecteurs de la SEC vont passer à la Milice, tout simplement parce que le salaire est deux fois plus juteux. Celle-ci a attiré plein de minables, de pauvres types, de déclassés… Trois mille francs par mois, c’était une somme.

Et puis il y a eu le cas Annette Zelman…

Oui, cette histoire, dramatique et bouleversante, est au cœur de mon livre. C’est un moment charnière. C’est le moment, en 1942, où la dénonciation tue. Fille de commerçants juifs polonais, très jolie et intelligente, Annette Zelman fréquente Saint-Germain-des-Prés, elle a une liaison avec Jean Rouch, côtoie Simone de Beauvoir, puis s’éprend de Jean Jausion, le fils d’un éminent médecin, Hubert Jausion. Devant le projet de mariage avec une «fiancée juive», ce dernier la dénonce, pour lui faire peur. Le 22 juin 1942, elle est déportée à Auschwitz, dont elle ne reviendra pas. La dénonciation a été un arrêt de mort. Il nous reste la correspondance d’Annette et de son fiancé.

Il y a une tradition de l’antisémitisme, dans la droite française…

Oui, doublée d’une habitude de dénonciation. Ainsi, après l’affaire Dreyfus, un journal comme «la Libre Parole» publie régulièrement des listes de juifs dans la fonction publique. Un juif qui est parvenu à un haut poste est illégitime. C’est une habitude inscrite. La législation de Vichy vient donner corps à cette illégitimité.

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Y a-t-il eu une résurgence de l’antisémitisme, en France, à partir de 1936 ?

C’est le moment où Céline, par exemple, commence à faire cas de sa haine des juifs dans sa correspondance. La victoire électorale du Front populaire et l’avènement de Léon Blum précipitent les choses: l’arrivée d’un juif marxiste à la tête de l’État, c’est insupportable. Blum déchaîne une haine terrible. Du coup, plus tard, l’exclusion des juifs de la fonction publique est passée comme une lettre à la poste.

Quelle conclusion tirer de votre étude ?

Déprimante et réconfortante, si on peut employer ce mot, à la fois. Contrairement à une idée reçue, ça n’allait pas de soi de dénoncer les juifs. Ceux qui le faisaient, généralement, étaient la lie de la société, des collabos «ordinaires». C’était des gens qui voulaient soit se venger de leurs voisins, soit gagner quelque chose auprès des Allemands. La délation est tacitement réprouvée. Mais le fait est qu’elle a été un outil indispensable pour la Gestapo. Un outil fondamental, même.

C’est la principale conclusion de mon livre: moins de dénonciateurs de juifs qu’on ne le pensait, mais une délation méthodiquement exploitée, arme concrète de la persécution. En 1944, surtout, des milliers de juifs ont été déportés à la suite de délations.



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