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Attentat anciens locaux de Charlie Hebdo - Maryse Wolinski : "Je me suis dit, ça y est, ça recommence"

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Attentat anciens locaux de Charlie Hebdo - Maryse Wolinski : "Je me suis dit, ça y est, ça recommence"
De la rue Nicolas Appert au tribunal de Paris, récit d'une journée qui a meurtri L. et P-A., mais aussi le coeur de toutes les victimes des attentats.

Il visionnait les rushs d’un reportage, au 1er étage du 10 rue Nicolas Appert, quand, venant de la rue, il a entendu les hurlements d’une femme. Par la fenêtre, il raconte avoir « vu une fille se tenant la tête. Elle était en sang. Un passant hurlait : « Il a un couteau ! ». Là, j’ai tout de suite percuté, c’était un barjot qui attaquait les gens ». Le reporter, professionnel aguerri, dévale l’escalier. Dans le hall et sur le trottoir, il découvre « une mare de sang » mais ne voit personne. Deux agents de la ville de Paris lui expliquent que « la fille » a été mise à l’abri, derrière une porte cochère. Il ne sait pas encore qu’il s’agit de L., sa collègue de Bocode, une filiale de l’agence de presse Premières lignes. Elle avait fêté ses 28 ans la veille et rentrait juste de vacances. Puis, les ouvriers lui indiquent un autre blessé, de l’autre côté de la rue. Le journaliste remonte en courant la funeste allée verte, celle empruntée par les frères Kouachi en janvier 2015. Depuis le deuxième étage du bâtiment où est située Premières Lignes, ses confrères ont vu l’agresseur armé d’une feuille de boucher poursuivre l’un des leurs, P-A.

Le jeune homme s’est effondré sur une pelouse au pied d’un immeuble. Deux passants l’aident déjà. Lui aussi a été touché à la tête. « Ca saignait beaucoup, mais il avait les yeux ouverts, il était calme ». Les pompiers et les policiers mettront une dizaine de minutes à arriver. Le journaliste a été frappé par « le calme incroyable, le sang-froid et la réactivité du quartier ». « Comme on ne savait pas si le type allait revenir, un gars a même sorti une barre de fer, raconte-t-il. Ce n’est pas un endroit neutre ici, les riverains savent comment se comporter ». Sur le trottoir, où, quelques instant auparavant, L. et P-A. grillaient leur cigarette avant d’être pris pour cible, un sac à dos noir gît, entrouvert. A l’intérieur, le reporter distingue « deux bouteilles en plastique, comme celles des magasins de bricolage et un putain de marteau ». Des sources policières confirmeront qu’il s’agit bien du sac de l’agresseur contenant un marteau et du White Spirit.

L’attaque a eu lieu à 11h35. A quelques minutes près, celle choisie, cinq ans plus tôt par les frères Kouachi. Le 7 janvier 2015, à 11 heures 25, ils avaient pénétré dans les locaux de Charlie Hebdo alors situés au 10 rue Nicolas Appert. Une minute et 49 secondes plus tard, ils en étaient ressortis, laissant derrière eux onze morts : Frédéric Boisseau (agent de la Sodexo), Franck Brinsolaro (garde du corps de Charb), Cabu, Elsa Cayat, Charb, Honoré, Bernard Marris, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Tignous, Wolinski avant de s’en prendre au policier Ahmed Merabet. Depuis, la rédaction de l’hebdomadaire a déménagé pour une autre lieu gardé secret. Vendredi dernier, comme un bis repetita, l’homme a frappé au même endroit. Et, outre les deux blessés graves, il a meurtri, une fois encore, les rescapés de 2015. Dans une vidéo saisie à son domicile, il assume son geste par anticipation mais ne se revendique d’aucune organisation islamiste.

Ce même vendredi, à l’autre bout de la capitale, au tribunal de Paris, se déroule la 18ème journée d’audience dans le procès de ces attentats de janvier. A 9 heures 40, le tribunal lance la diffusion de la vidéo de revendication par Al Qaïda pour la péninsule arabique (AQPA) de l’attentat contre Charlie Hebdo. Puis, un enquêteur de la DGSI, revient sur la surveillance des Kouachi : les écoutes cessent en octobre 2012 pour Saïd et, en mars 2013, pour Cherif. L’un des assesseurs interroge l’enquêteur sur d’éventuels « trous dans la raquette » en matière de suivi. Et, la voix pleine d’émotion, l’agent de la DGSI s’adresse aux victimes : « Je tiens à leur dire que chaque attentat a été vécu comme un échec par nous tous (…). Le renseignement, cela consiste à devoir évaluer en permanence des menaces. Aujourd’hui, le service a en charge de suivre 8.000 personnes suspectées de radicalisation ».

Tout d’un coup, le Président de la cour l’interrompt. Il est 12 heures 24. « Il s’est levé et nous a dit « excusez-moi, je dois suspendre l’audience », explique Samia Maktouf, l’une des avocates des parties civiles. « On avait la boule au ventre : était-ce une alerte ? Allait-on être évacués ? Nous nous sommes tous retournés. Sur les bancs, les journalistes étaient penchés sur leurs portables, c’est comme ça qu’on a appris l’attaque ». Quinze minutes plus tard, l’audience reprend brièvement avant la pause déjeuner. Ce nouvel attentat est au cœur de toutes les conversations. A tel point que Jean Reinhart, avocat de la veuve de Frédéric Boisseau se demande si, dans un tel contexte, les esprits sont suffisamment apaisés pour poursuivre l’après-midi. Finalement, les parties civiles ne demandent pas d’interruption et l’audience se tient à 14 heures. Pour Claire Josserand-Schmidt, conseil de Virginie Chapel qui avait croisé les Kouachi dans son agence de voyages quatre minutes avant leur entrée dans Charlie Hebdo, « le lien entre le procès et le lieu choisi vendredi matin semble évident. Avec l’attaque de vendredi, les victimes se retrouvent dans une boucle d’insécurité, c’est un piège psychique ». Au palais de justice, journalistes et avocats habitants du 11ème, tentent de joindre les écoles, barricadées, inquiets pour leurs enfants avec le curieux sentiment de se retrouver cinq ans en arrière.

Une boucle dont les victimes ont du mal à sortir

Cette boucle dont les victimes ont du mal à sortir, qui commence rue Nicolas Appert pour y revenir, cette répétition de l’horreur, a touché de plein fouet Maryse Wolinski. Elle se trouvait au centre national du livre pour la création d’une maison européenne du dessin satirique. « Je me suis dit, « ça y est, ça recommence », les cauchemars vont réapparaitre, dit-elle. J’étais en train de m’apaiser et ça va repartir ». La rédaction d’un livre, « au risque de la vie » (Seuil), avait contribué à calmer ses démons. Elle est la seule, parmi les familles de victimes, à avoir refusé de témoigner au procès : « Je n’avais pas envie de raconter mon intimité devant les accusés dans le box. Je n’en n’étais pas capable. Ca sert à quoi de se dévoiler devant ces personnes ? Est-ce que ces types vont se dire « c’est vrai, il ne faut plus faire ça » ? Ils s’en foutent, peut-être même que ça les motive ». La veuve de Georges Wolinski ne cache pas sa colère : « Si, à l’ouverture du procès, on avait sécurisé cette rue devenue un symbole, peut-être que cette attaque n’aurait pas eu lieu ». Un avis partagé par plusieurs membres de Premières Lignes mais aussi par nombre de policiers et magistrats.

Car la menace est bien réelle. Le 10 septembre 2020, l’AQPA avait rédigé un communiqué reçu en anglais, français et arabe par les services de renseignements le… 11 septembre, date anniversaire de l’attaque du World Trade Center en 2001 : « Il y a quelques années, le journal français (…) Charlie Hebdo a commis un crime en publiant des dessins blasphématoires de notre prophète (…). La plupart des dessinateurs du journal ont été tués dans l’attaque et d’autres employés ont été blessés, parmi eux le rédacteur en chef. Cette opération a été une réussite selon tous les critères et Allah (…). Mercredi dernier, ils ont réalisé à nouveau des dessins blasphématoires». Le communiqué estime que l’Oumma islamique, la communauté, et ses moudjahidines ont « donné naissance » aux frères Kouachi, à Coulibaly mais aussi aux auteurs de tous les carnages qui ont suivi : Nice le 14 juillet 2016, les attaques contre des gendarmes sur les Champs-Elysées le 19 juin 2017 et contre des militaires de Levallois-Perret le 10 août de la même année, les attentats de Trèbes et Carcassonne le 23 mars 2018, et l’attaque au couteau du 12 mai 2018 à l’Opéra.

Et tant pis si certains de ces actes ont été revendiqués par l’Etat islamique, le concurrent d’Al-Qaïda ; les deux mouvements savent oublier leurs rivalités quand il s’agit d’exploiter le chaos. Le communiqué appelle « tous les musulmans de France à venger le prophète » en s’attaquant aux dessinateurs danois. Et d’insister : « Nous mettons en garde les musulmans qui resteraient à l’arrière et ne défendraient pas le prophète ». Le mot de la fin est adressé à « nos frères emprisonnés en France, les accusés dans l’affaire Charlie Hebdo qui sont en train d’être jugés » considérés comme étant « dans le juste ». Après ces menaces, la sécurité a été relevée autour des membres de Charlie Hebdo. Trois jours plus tard, le 14 septembre au soir, à la demande de sa protection rapprochée, la DRH du journal quittait son domicile dans l’urgence.

Vendredi dernier, Maryse Wolinski a mesuré l’étendue des lacunes concernant l’actualité terroriste. « J’ai réalisé qu’on ne savait rien, dit-elle. Il faudrait rendre cela plus transparent, il est important que nous ayons des repères : que deviennent les sortants de prison ? Sont-ils suivis ? Je veux savoir s’ils sont lâchés dans la nature parce que j’estime que les Kouachi, eux, l’ont été. Cette nouvelle attaque rue Appert est une piqûre de rappel ». L’actualité terroriste, ce sont notamment ces manifestations au Pakistan, en partie organisés par le parti extrémiste TLP, Tehreek-e-Labbaik dès le 3 septembre. Le drapeau français a été brûlé après que Charlie Hebdo, la veille, a republié les caricatures danoise du journal Jyllands-Posten parues pour la première fois le 30 septembre 2005 avec ce titre : « Tout ça pour ça ». Le Premier Ministre Pakistanais, Imram Khan a attisé la haine en dénonçant « l’islamophobie » du journal satirique.

Son ministre des affaires étrangères, Shah Mahmood Qureshi, a espéré que « les responsables de cet acte méprisable » seront jugés. Au Pakistan, où aurait grandi l’auteur de l’attaque de vendredi, le délit de blasphème est passible de la peine de mort. Des doutes subsistent encore sur la nationalité de cet homme, arrivé en France en août 2018. Il se présente alors sous l’identité d’Hassan Ali et prétend être né le 10 août 2002, donc être encore mineur. Pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance du Val d’Oise, il a vécu dans un hôtel social à Cergy, avant de déménager à Pantin après l’arrêt de son suivi, le 10 août dernier, date à laquelle il serait devenu majeur. Mais dans son téléphone portable, les enquêteurs ont trouvé la photo d’une autre pièce d’identité : l’homme s’appellerait en réalité Zaheer Hassan Mehmood, serait né le 25 janvier 1995 et aurait donc 25 ans. Le 7 juin 2020, il avait été interpellé à la Gare du Nord, pour « port d’arme prohibé », une arme blanche qu’il avait, selon une source proche de l’enquête, jetée sur un de ses compatriotes.

La rue Nicolas Appert panse ses plaies

« Cette histoire ressemble aux attaques du Thalys, d’Orly ou de la Pyramide du Louvre, avec un mec pas très doué, pas préparé. Ce n’est pas pour autant que ce n’est pas politique. Il y a quand même une coloration terroriste derrière et le passage à l’acte sera utilisé pour dire : vous n’aurez jamais de répit ». Le 26 septembre, lendemain de l’attaque, Al Thabat, l’un des organes de communication d’Al-Qaïda diffusait une photo de la lame de boucher. Dans l’enceinte de la salle d’audience du tribunal de Paris, ces derniers jours, « On sentait la violence monter de jour en jour », décrit Samia Maktouf. Les gendarmes sont d’ailleurs appelés en renfort de la police pour sécuriser le procès et, même la brigade antigang vient de temps en temps. Les magistrats eux-mêmes ne sont pas rassurés, ils savent combien la menace qui plane sur l’audience est importante.

Aujourd’hui, L. se remet de ses blessures à l’hôpital européen Georges Pompidou où elle a été opérée. Elle revoit les images de l’attaque et des trois coups que lui a portés Ali Hassan. Si elle aura peu de séquelles physiques, psychologiquement, il lui faudra sûrement du temps. Sa famille est venue pour la soutenir. De son côté, P-A., qui semblait d’abord moins grièvement atteint, est toujours en réanimation neurochirurgicale à la Pitié Salpêtrière ; il souffre d’un hématome intracrânien. Sa famille, assez remontée, ne souhaite pas rencontrer le Président de la République. Une source policière soupire : « De toutes façons, des attaques comme ça, il y en aura tout le temps ». Une magistrate acquiesce : « Ces personnages agissent en périphérie des mouvements terroristes. C’est de l’opportunisme qui sert ces organisations. Bien sûr qu’il s’agit d’un acte terroriste mais il n’y a pas nécessairement un lien entre celui qui commet l’acte et la structure ». En attendant, la rue Nicolas Appert panse ses plaies. Appert, du nom de cet inventeur du 18e siècle, créateur de la première usine de conserves, né à Chalons en Champagne. Comme Cabu.


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