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Au Chili, les éborgnés érigés en symbole de la répression

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Un manifestant passe devant une fresque de soutien aux éborgnés de la mobilisation au Chili
Près de 200 manifestants ont été éborgnés par les forces de l'ordre depuis le début de la crise sociale au Chili, en octobre. Les blessés sont devenus, malgré eux, un symbole de cette mobilisation. France 24 s’est entretenu avec l’une des victimes.

“J'ai senti comme une piqûre très forte à l'œil. J'ai mis ma main sur mon visage puis j'ai regardé ma main : elle était pleine de sang et je me suis évanoui.”

Ybar Soto Pizarro a 29 ans. Le 24 octobre, il était sorti manifester sur la Plaza Italia de Santiago du Chili contre le coût de la vie lorsqu’il a reçu un tir de bille de plomb de la part de la police chilienne. Pris en charge par la Croix-Rouge, il a été transféré à l'hôpital où il a reçu des soins. Trois semaines après les faits, il raconte à France 24 comment cette blessure oculaire affecte sa vie quotidienne. “Mon sens de l'équilibre et ma vision sont toujours perturbés”, décrit-il. “Cette blessure me gêne surtout pour mon travail. Je suis électricien, un travail où il faut être particulièrement minutieux. Les médecins ont dit que je ne pourrai pas travailler pour une durée comprise entre trois et six mois.”

Depuis le 18 octobre, le Chili est agité par une contestation. Les manifestants réclament des réformes sociales et une modification de la Constitution héritée de la dictature de Pinochet. Il s'agit de la plus grande crise sociale vécue par le pays depuis le retour de la démocratie en 1990.

Au moins 197 éborgnés depuis le début de la contestation

L'Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, estime que 197 personnes ont subi, à l’instar d’Ybar, des blessures oculaires, "principalement causées par des tirs de 'chevrotines' de caoutchouc", "mais aussi d'autres armes, comme les bombes lacrymogène". La police et les militaires chiliens déployés utilisent en effet des carabines anti-émeutes contre les manifestants. Ils tirent des "balines" et de "perdigones", des petites billes en gomme ou de métal qui peuvent causer d'importantes blessures. Selon l'ordre des médecins chiliens et plusieurs organisations locales de défense des droits de l'Homme, ce chiffre dépasse de loin le nombre de cas similaires survenus pendant la crise des Gilets jaunes en France, estimé à 24 selon le décompte du journaliste indépendant David Dufresne, ou les manifestations massives à Hong Kong.

“La manifestation était pacifique”, insiste Ybar Soto Pizarro. “Les carabiniers sont arrivés et, sans avertissement, ils ont commencé à tirer. Ça a provoqué une émeute. J'étais en train de regarder, à une cinquantaine de mètres quand c’est arrivé.”

“Je ne sais pas si la police avait l'intention d'infliger ce type de blessures. Je pense que si car avec leur carabine, ils n'ont cherché ni à viser le sol ni en l'air. À chaque fois, ils ont tiré en face d’eux comme si c'était une guerre.”

Gustavo Gatica, 21 ans, est devenu malgré lui le symbole de la répression et des éborgnés. Cet étudiant est désormais presque totalement aveugle après avoir été blessé aux deux yeux. Longtemps discret dans les médias, il a finalement rédigé un message mardi 12 novembre, transmis par ses proches. "Continuez à vous battre, nous ne pouvons laisser que le sang répandu n'aboutisse a rien", a-t-il écrit.

Manifestations de solidarité

Une manifestation s'est tenue le 12 novembre à Santiago devant le palais présidentiel de la Moneda afin d'interpeller sur le sujet des éborgnés. Certains manifestants se sont grimés en éborgnés en solidarité avec les blessés.

Deux sportifs du pays, Iván León et Cristián Araya, de l'équipe nationale de badminton, se sont joints aux manifestations de soutien. Les deux champions ont rendu hommage aux victimes. Avec un drapeau mapuche à l'arrière-plan, ils ont posé avec leur uniforme de l'équipe du Chili en se couvrant un œil.

"C'est un hommage à ceux qui souffrent de la répression. Pour tous ceux qui ont perdu un œil ou même deux, pour avoir demandé de la dignité pour notre peuple", ont-ils expliqué à un média local. L’équipe de football a quant à elle annoncé l’annulation d’un match amical prévu contre le Pérou en solidarité avec le peuple chilien.

Une "mission d'urgence" au Chili, promue par le groupe parlementaire européen Gauche unie a conclu que le pays souffrait de "paramètres de répression similaires à ceux appliqués pendant les trois dernières années de la dictature de Pinochet ".

Débat pour l'interdiction

En réaction, huit députés de l'opposition ont déposé, lundi 11 novembre, un projet de loi pour interdire l'usage de ces munitions anti-émeutes : "Elles ne sont pas censées être des armes à feu, mais elles sont utilisées contre les émeutiers […] et causent de graves dégâts", a déclaré Cristina Girardi, du parti de centre-gauche PPD, l'une des huit députés à l'origine du projet de loi.

“Je pense que ce genre d'armes devraient être interdites contre les manifestants, qui n'ont que des pierres et des bouts de bois, pourquoi avoir une carabine ?”, s’interroge Ybar.

Des représentants du gouvernement chilien ont défendu l'action de la police devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), lors d'une audience, le 11 novembre, en Équateur, tout en s'engageant à "limiter" l'usage des carabines anti-émeutes.

Seule concession, le ministre de la Santé, Jaime Mañalich, a annoncé la mise en œuvre du programme de réparation globale des yeux, afin de garantir la gratuité des soins des personnes blessées aux yeux par les munitions non létales tirées par la police.

“Si le ministre de la Santé dit qu'ils vont prendre en charge les blessures, c'est une bonne chose. Surtout que ce type de blessures entraîne des frais très importants pour la victime”, estime Ybar. “ Mais c'est facile de le dire, il faut voir si ils vont réellement le faire, ajoute-t-il, méfiant.

Le mouvement tient bon

Au moins vingt personnes sont mortes depuis le début de la crise chilienne, dont cinq après l'intervention des forces de l'ordre, et plus de 2 000 ont été blessées, selon des chiffres officiels.

Malgré cela, près d'un mois après le début de cette explosion sociale totalement sans précédent dans ce pays sud-américain, les manifestants tiennent bon.

Ybar, lui, a choisi de se tenir à l’écart des manifestations. Il préfère contribuer à sa manière en témoignant de ce qu’il se passe pour faire connaître une vérité que “le gouvernement chilien essaie de cacher.”

“On espère qu’ils entendent enfin la vérité du peuple. On ne demande pas de cadeaux juste que nos droits soient respectés.”


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