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Al Jazeera, la chaîne qatarie qui fait peur aux chefs d'Etats arabes

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Al Jazeera, la chaîne qatarie qui fait peur aux chefs d'Etats arabes

« Quoi ? C'est cette boîte d'allumettes qui fait tout ce bruit ? », avait ricané Hosni Moubarak lors de sa première visite du siège de la chaîne qatarie à la fin des années 90. A l'époque, les locaux n'avaient encore rien du flamboyant actuel de l'immeuble qui abrite Al Jazeera. Douze ans après, à sa manière, la petite boîte d'allumettes contribue à mettre le feu au pouvoir.

Depuis le début des manifestations appelant au départ du raïs vieillissant, Al Jazeera s'est imposée comme l'une des meilleures sources d'informations sur l'Egypte : images exclusives des manifestations, déclarations en continu des membres de l'opposition, révélations sur les tractations au sommet du pouvoir…

Le professionnalisme d'Al Jazeera a été loué jusqu'aux Etats-Unis, habituellement méfiants à l'égard de la chaîne considérée comme pro-islamiste.

La plupart des opérateurs, câble ou satellite, ne la diffusant pas, c'est sur Internet que les Américains suivent la révolution égyptienne : Al Jazeera English (la version anglophone de la chaîne) a annoncé que le site enregistrait une progression d'audience de 2 500% depuis jeudi 27 janvier, soit plus de 4 millions de consultations. Même la Maison Blanche adéclaré suivre les événements au Caire sur la chaîne qatarie.

Ce succès considérable – 40 millions de téléspectateurs par jour – en a fait l'ennemi numéro un du pouvoir égyptien. Accusée par le régime de tentative de déstabilisation du pays, la chaîne est désormais interdite sur l'ensemble du territoire égyptien. Après l'arrestation de six reporters et la confiscation de leur matériel, toutes les autorisations des journalistes d'Al Jazeera ont annulées.

« Il a été tabassé, mais ce n'est pas la première fois »

Les relations entre l'Egypte et Al Jazeera sont tendues depuis plusieurs années. Ahmed Mansour, le journaliste égyptien d'Al Jazeera, est ainsi régulièrement pris pour cible par la police. Un de ses confrères raconte :

« Il y a quelques jours, il a été retenu par la police pendant une heure et demie, il a été tabassé, mais ce n'est pas la première fois. Il y a deux ans, il a été agressé par des inconnus, certainement des gens envoyés par le pouvoir. Les attaques contre lui et d'autres membres de l'équipe sont fréquentes. »

Hosni Moubarak, conscient de l'influence de la chaîne sur la population, a évoqué le sujet avec son homologue qatari lors d'une visite à Doha au mois de novembre 2010. Une tentative vaine puisque quelques jours plus tard, Ahmed Mansour invitait Mohamed Badie, leader des Frères musulmans, sur le plateau de son émission « Sans Frontières ».

Les islamistes, des opposants légitimes

Cette parole donnée aux islamistes les plus radicaux est reprochée à Al Jazeera, y compris par les médias occidentaux. Beaucoup plus ouverte aux islamistes que d'autres chaînes arabes, Al Jazeera considère ceux-ci non pas comme un danger à dénoncer mais comme une opposition légitime.

Ayache Derradji, du bureau parisien d'Al Jazeera, insiste sur la déontologie des journalistes :

« On nous accuse de donner principalement la parole aux Frères musulmans mais c'est faux ! On invite tout le monde ! Mohamed El-Baradei et Ayman Nour sont interrogés par nos confrères. Notre objectif est d'informer, nous ne censurons personne. »

Pour Mohammed El-Oifi, maître de conférences à Sciences-Po, Al Jazeera se distingue surtout par son engagement en faveur de la démocratie :

« Le dirigeant suprême est un membre de la famille de l'émir du Qatar, il dirige Al Jazeera mais aussi les médias publics qataris. Il ne dira jamais qu'il a un objectif politique mais si vous écoutez ce que disent les journalistes à l'antenne, l'objectif est clair : c'est abattre Moubarak.

Ils donnent la parole à beaucoup de gens qui veulent la fin du pouvoir. Je ne sais pas si les pro-Moubarak ne parlent plus parce qu'ils sont censurés ou parce qu'ils ont peur en ce moment. »

Notre objectif est de provoquer une prise de conscience

Une position assumée par le directeur général de la chaîne. Dans une tribune publiée sur le Huffington Post, Wadah Khanfar réaffirme l'engagement d'Al Jazeera dans le monde arabe :

« A travers nos investigations et nos reportages, notre objectif est de provoquer une prise de conscience et de brosser un tableau plus complet des réalités au Moyen-Orient.

Plus informés, nous pensons que les peuples de cette région et d'ailleurs pourront faire de meilleurs choix pour mener leur vie et pour se diriger vers un avenir plus pacifique et démocratique, peu importe où ils vivent. »

Cette liberté affichée par la chaîne et la multiplication des interventions d'opposants inquiète les chefs d'Etat du monde arabe.

Plusieurs d'entre eux ont ordonné la fermeture des bureaux d'Al Jazeera ces dernières années. Au Maroc, la chaîne a été priée de plier bagage en octobre 2010, après avoir été accusée d'avoir « sérieusement altéré l'image du Maroc et porté manifestement préjudice à ses intérêts supérieurs, à leur tête la question de l'intégrité territoriale », autrement dit le traitement des affaires du Sahara et des islamistes – les fameuses lignes rouges du royaume – a déplu au pouvoir.

Interdite au Maroc, en Algérie, en Irak…

A Bahrein, en Algérie et en Irak, la chaîne est interdite. En Tunisie, le régime de Ben Ali avait également censuré Al Jazeera. Une censure plutôt inefficace, comme l'a démontré la couverture de la révolte tunisienne. Pour Mohammed El-Oifi, la panique égyptienne vient en partie de l'expérience tunisienne :

« Certes, la révolution française a eu lieu alors que la presse française n'existait pas vraiment et on ne saura pas dans quelle mesure ce qui se passe en Egypte est inspiré par la Tunisie. Cependant il y a tout de même un fort effet de mimétisme avec la Tunisie.

Al Jazeera a évidemment joué un rôle important. Le monde arabe a eu les yeux rivés sur Al Jazeera pendant tout le moins de décembre, depuis l'immolation du vendeur à Sidi Bouzid. Al Jazeera s'est intéressée immédiatement à l'affaire, ils ont compris très vite ce qui se jouait là-bas alors que personne n'en parlait. »

Malgré son image d'excellence, Al Jazeera est cependant réputée arrangeante lorsqu'il s'agit du Qatar et de ses intérêts. Fondée en 1996 par l'émir du Qatar, Hamad bin Khalifa Al-Thani, la chaîne est financée en grande partie par son gouvernement.

Complaisante avec le Qatar ? 

Si la chaîne se défend de toute autocensure, il lui est difficile d'expliquer son revirement à l'égard de l'Arabie saoudite. Très critique à ses débuts, Al Jazeera s'est progressivement montré plus complaisante vis-à-vis du royaume wahhabite, aujourd'hui ami du Qatar. Ce pays a d'ailleurs lui aussi lancé sa chaîne, Al Arabyia. Mohammed El-Oifi souligne les grandes différences entre les deux chaînes d'info arabes :

« Sur l'Egypte et la Tunisie, ils font un travail aussi sérieux qu'Al Jazeera, mais les Saoudiens ont peur de la contagion, ils sont moins enthousiastes. Ça ne veut pas dire que la chaîne est plus contrôlée. C'est davantage des distinctions liées à la sociologie des journalistes mêmes.

Sur Al Arabiya, les libéraux saoudiens, proches des Etats-Unis, prônent la modernité, le libéralisme économique et social mais pas la libéralisation politique. Ils ne sont pas franchement pour la démocratie. L'autre groupe, ce sont les Libanais, anti-Hezbollah et très défavorables à l'affaiblissement des Etats-Unis. »

« La censure, c'est le Nasdaq de l'information »

En dépit des controverses qu'elle provoque, Al Jazeera conserve sa place de première chaîne arabe. En Egypte, malgré la censure prononcée il y a 48 heures, la chaîne poursuit son travail. Avec davantage de force même.

Après l'arrêt de la diffusion de la chaîne via le satellite Nilesat, plusieurs chaînes arabes de ce même bouquet ont décidé de jouer la solidarité avec Al Jazeera en retransmettant ses émissions sur leurs antennes. Ayach Derradji, du bureau parisien d'Al Jazeera, relève que la censure renforce l'aura de la chaîne :

« C'est plus difficile mais on continue avec les moyens du bord. On reçoit énormément d'images et de témoignages d'Egypte… ils ne nous arrêteront pas.

Au contraire : un dictateur corrompu qui veut nous interdire, ça booste, ça donne envie, ça veut même dire qu'on est en train de faire notre travail ! La censure, c'est le Nasdaq de l'information. »

 



1 Commentaires

  1. Auteur

    Detectiv

    En Février, 2011 (04:19 AM)
    ma place
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