PAPE NIANG,chanteur : La musique comme moyen de refuser la fatalité et le handicap

Le musicien et chanteur sénégalais Pape Niang, 58 ans, non voyant, est une des voix du jazz et du blues au Sénégal. Après 40 ans de carrière, il se définit aujourd’hui comme un « handicapable ». Il a d’ailleurs mis sur pied une association sous ce même vocable. Celle-ci  a pour objectif  de venir en aide aux handicapés et de lutter contre leur mendicité.

Après son retour de Marrakech où il a été désigné pour représenter le Sénégal  et l’Afrique  à la conférence  des Nations unies pour l’adoption du Traité visant à améliorer l’accès des déficients visuels et personnes ayant des difficultés de lecture (du 17 au 28 juin 2013), le chanteur  Pape Niang a eu la gentillesse de nous recevoir, la semaine dernière,  à sa demeure sise à la Cité Assemblée de Ouakam.

Drapé d’une djellaba, de couleur blanche,  Pape Niang nous a chaleureusement accueillie dans  son salon, accompagné de son épouse.

Sourire aux lèvres,  Pape  ne s’est pas fait prier deux fois pour nous dire toute sa fierté et sa gratitude de se voir désigner par le ministère sénégalais de la Culture à la conférence des Nations unies pour l’adoption du Traité visant à améliorer l’accès  des déficients visuels et personnes ayant des difficultés de lecture qui s’est tenue à Marrakech (Maroc), du 17 au 28 juin 2013. « A Marrakech, j’ai représenté le Sénégal et toute l’Afrique. J’ai été choisi parce que je suis un musicien de haut niveau. De même que Stevie Wonder, qui participait également cette rencontre internationale. Ce dernier a tenu à ce que je sois présent parmi eux à la conférence. Et ce fut une grande fierté  pour moi », confie-t-il.

Selon le musicien Pape Niang, la conférence était destinée aux déficients visuels afin qu’ils puissent lire (améliorer la méthode braille) et s’adapter aux nouvelles Technologies de l’information et de la communication. A l’en croire, la rencontre a été un grand succès. Il  y avait plusieurs pays participants. « J’ai eu la chance d’être connu davantage par le nombreux public qui ne cessait de défiler dans ma loge pour me féliciter et me demander de leur signer un  autographe », se réjouit-il. Sans doute, son grand professionnalisme pour la musique lui voue cette grande popularité.  En réalité, Pape Niang, malgré sa déficience visuelle a toujours montré son talent.

Il est un musicien de jazz, reggae, soul music, blues, salsa, etc. « Je joue aussi de la batterie, l’harmonica, la tumba, la timbale, et je chante également. Mon handicap n’a jamais été un obstacle. La musique, c’est ma vie et ma seule façon de voir le monde », dit-il. Au Sénégal, Pape Niang enchante toujours son public avec des imitations parfaites de Ray Charles, mais aussi avec ses propres morceaux en anglais, français, espagnol ou wolof, après être passé, depuis les années 1970, dans des orchestres mythiques comme le Xalam.

Membre du groupe Xalam 1 dans les années 1970

Petit, « je tapais sur tous les objets au passage: chaises, fauteuils, caisses, tables, etc. », se rappelle-t-­il. A 13 ans déjà, il commençait à s’intéresser à la musique.

« Mon intérêt pour la musique, je le dois à mon cousin, Ousseynou Mbaye, et à mon grand-frère, Ousmane Niang, grand mélomane », confie-t-il. Ce dernier lui faisait écouter, autour d’une partie de thé, des disques de grands jazzmen comme Otis Redding, Orchestra Aragon, Fania All Stars, James Brown, Stevie Wonder, etc. Quant à Ousseynou Mbaye, c’est grâce à lui qu’il a eu à rencontrer et chanter, pour la première fois, avec le groupe Xalam 1. « Un soir, mon cousin Ousseynou est venu me chercher d’urgence à la maison pour me conduire à la Sicap Liberté 2 où jouait  le Xalam 1. Dès que je suis arrivé, je suis entré. A sa grande surprise, Cheikh Tidiane Tall m’a interpellé et m’a demandé ce que je faisais là. Et je lui ai dit que je voulais chanter. Ebahi, Cheikh me dit : « Mais ! Tu es courageux. Tout petit que tu es, tu rentres sans demander la permission et tu veux chanter ». Par  la suite, il accepte volontiers. Ainsi, j’ai entonné une chanson qui a surpris plus d’un. Depuis lors, Cheikh Tidiane m’a promu et j’ai intégré le groupe Xalam 1 dans les années 1970 », se souvient l’artiste Pape Niang.

Aujourd’hui, sa carrière comprend de nombreuses collaborations et trois albums solo : « Saxal garab » (1986), « Xalel » (1992) et « Djem » (2000). Il est à l’aise dans divers styles, à savoir soul, salsa, variété ou rythmes sénégalais comme le mbalakh, mais sa préférence va au jazz. Né aveugle en 1955, il a toujours vécu à Dakar et a appris les instruments sans fréquenter d’école spécialisée. « Dieu m’a beaucoup aidé. En toute franchise, mon handicap n’a jamais été un obstacle pour ma vie. Au contraire, il m’a beaucoup forgé. Je veux que tous les handicapés suivent mon exemple car, actuellement, je  n’envie personne », confie l’artiste, marié et père de quatre enfants.  Suivre l’exemple de Pape Niang, c’est être « handicapable », c'est-à-dire avoir un handicap, mais être capable et ne plus tendre la main. Il a même lancé ce concept  à travers une association dénommée « Handicapable en action », le 21 mai 2013 à Douta Seck. « Cette association qui vise à promouvoir la participation des personnes vivant avec un handicap dans le secteur culturel, et à éradiquer la mendicité  dans la rue, a eu comme activités phare la formation de 25 femmes handicapées  à l’entreprenariat féminin, l’atelier de renforcement de capacités avec les musiciens handicapés, des concerts, etc. », souligne le chef de l’orchestre Kurel Band. Non sans préciser que « ces activités ont été rendues possibles grâce à l’appui du Réseau d'associations pour le bien-être communautaire (Rabec) qui assure la formation des femmes en entrepreneuriat et d’autres hommes de bonne volonté ».

« Pour ce qui est des autorités étatiques, elles ne m’ont jusqu’à présent pas prêter main forte pour le projet. Alors que c’est un projet important et noble », se désole-t-il.  Toutefois, l’artiste ne compte pas dormir sur ses lauriers. Il prend son courage à deux mains et envisage de chercher des partenaires potentiels à l’étranger pour qu’on l’aide dans cette mission noble de lutter contre la mendicité des handicapés.