L'OBS - Joël Decupper. Voici un nom qui, forcément, ne vous dira pas grand-chose. Et pourtant, c’est une bibliothèque ambulante de l’Afrique, sédentaire du Sénégal. Une légende vivante du continent, dont il a vu «naître» les pays. Trafiquant de viande ? Suppôt des multinationales ? Espion à la solde du Mossad israélien ? Un acteur dans l’assassinat de Thomas Sankara ? Après près de soixante ans de silence sur ces mystères qui jalonnent aujourd’hui encore sa vie, Decupper raconte tout de ses pérégrinations à travers le continent, ses affaires, les coulisses du pouvoir en Afrique, ses relations privilégiées avec les anciens et futurs Présidents africains, sénégalais notamment (Senghor, Diouf, Wade). Le tout dans un livre fleuve, paru à L’Harmattan, et au titre autant mystérieux que la vie de l’auteur : «Un Blanc dramatiquement Noir.»
POURQUOI LES COMMUNISTES SENEGALAIS N’ONT PAS REUSSI A RALLIER LE SENEGAL PROFOND
«L’autre fait se rapporte à la sacro-sainte palabre africaine. J’en avais découvert les effets à Dakar (…) Cette expérience de la palabre m’aida à comprendre, des années plus tard, les propos d’un ancien du Sénégal. Il m’expliqua pourquoi, après les indépendances, les cadres modernes africains, ces prosélytes marxistes ou communistes, frais émoulus des universités françaises ou soviétiques, ne réussirent pas à rallier l’Afrique profonde. Ces jeunes gens, qu’animait la vaillance des néophytes, parcouraient brousses et forêts à la rencontre des autorités villageoises. Après de brèves salutations, ils exposaient idées, programmes et dépeignaient tous les bienfaits qui en résulteraient pour tous. Puis ils s’en allaient, toujours pressés. Il y avait tant de villages à «soviétiser»…Ils ignoraient que leurs interlocuteurs ne les écoutaient pas, tant ils étaient choqués par leurs manquements à l’usage, qui veut que, par de longues salutations, on se reconnaisse (…)»
LE TRAFIC DANS LES VOYAGES PRESIDENTIELS SOUS SENGHOR
«J’utilisais cette compagnie (Air Afrique : Ndlr) une fois tous les deux mois pour me rendre à Paris où j’avais ouvert un bureau permanent, rue des Pyramides, dirigé par Renée Pelletier, une excellente journaliste qui alimentait la revue (Africa : Ndlr) en papiers de base. Mes séjours parisiens avaient deux objectifs : prendre contact avec les grands annonceurs et avec les journalistes, plus précisément les grands reporters africanistes. Je logeais à l’hôtel Rochambeau (…) Il se trouva que l’équipage de l’avion présidentiel en fit sa base. Du temps du Président Senghor, l’équipage ne venaient pas souvent. Madame Senghor se contentait des vols réguliers. Puis les vols de l’avion présidentiel sur Paris se multiplièrent. Je pus assister à un spectacle pour le moins insolite. A l’abord des départs de l’avion présidentiel pour Dakar, le bar de l’hôtel s’emplissait des objets les plus hétéroclites. J’y vis même une baignoire…Quelques heures avant le départ, il était archiplein, parfois jusqu’au plafond. A l’époque, je ne voyais plus le Président Abdou Diouf. Je ne pouvais l’informer de ce trafic, qui ne méritait pas un papier. Je suis sûr qu’il y aurait mis aussitôt le holà (…)»
LE COUP DE POUCE DE SENGHOR
«Un autre problème surgit. Solange Diallo, ma future femme, se présenta successivement au ministre de la Santé, au directeur de la Santé et au directeur de la Pharmacie. Tous l’accueillirent chaleureusement. N’était-elle pas la première Sénégalaise à s’installer dans le centre de Dakar, occupé jusqu’alors surtout par des pharmaciens français ? Les semaines passèrent sans que les autorisations promises ne se concrétisent. Je compris vite que mes compatriotes pharmaciens faisaient obstruction. Non pas tant parce que leur consœur était sénégalaise, mais parce qu’ils ne voulaient pas d’une pharmacie Drugstore ouvrant jusqu’à minuit et empiétant sur leur tour de garde. J’écrivis une belle lettre à l’attention du Président de la République, que Solange Diallo signa. Je me souviens qu’elle s’achevait par une formule du genre : si vous n’intervenais pas, Monsieur le Président, je ne vois pas comment je pourrais, Sénégalaise, travailler dans mon propre pays (…) Le Président donna aussitôt les instructions et Solange Diallo obtint les autorisations nécessaires. C’est ainsi que mon copinage avec le roi de la cravate, à défaut de me faire «mac», permit la création de cette pharmacie qui devint vite une réussite (…) »
AU SENEGAL, 2+2=6
«Du temps où j’étais conseiller du Premier ministre ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (1990- 1993 : Ndlr), celui-ci me fit part de son intention de faire une visite opportune au Sénégal. Je la lui déconseillai. «Si vous allez dire aux Sénégalais que deux et deux, ça peut faire six, vous bénéficierez d’un excellent accueil, lui dis-je. Innombrables sont ceux qui peuvent le croire ou qui l’espèrent. Or je vous connais, vous leur direz prosaïquement que cela fait quatre !» La visite eut lieu. J’eus le doigté de ne pas m’en enquérir de son résultat. A ma connaissance, elle ne laissa pas un souvenir impérissable. En réalité, j’ai découvert qu’au Sénégal deux et deux peuvent faire plus que six. Je le dois à un énième rebondissement de l’interminable feuilleton de la production nationale d’électricité. Si le Sénégal n’était pas le Sénégal, il aurait pu s’inspirer de la manière dont le Premier ministre Ouattara résolut les mêmes difficultés énergétiques en moins d’une année (…)
Voilà des décennies que les milliards s’abattent sur le Sénégal (…) Devant une telle avalanche d’argent qui n’épargne pratiquement aucune région du Sénégal, on pourrait presque se demander s’il reste encore des pauvres dans ce pays. Sauf à imaginer qu’il y a des faux pauvres qui jouent les pauvres pour que le Sénégal continue à bénéficier des concours internationaux. Après la «cité des millionnaires», qui date un peu, à quand la «cité des milliardaires» ? (…)
LA REMONTRANCE DE SENGHOR
«Son avènement à la tête du Sénégal ne me préoccupa guère. J’avais assez de difficultés à me familiariser avec l’économie du pays. Je ne suivis que de loin la mise en place du funeste carcan socialiste qui lamina la production arachidière. Le Président Senghor entra dans mon univers par un discours dont un passage était emprunté à mon article : «Non, le Sénégal n’est pas pauvre», paru en 1962 dans Africa. Le Président avait omis d’en signaler la source. C’était la seule fois. Quelque temps plus tard, c’est moi qui attirai son attention puisque je fus convoqué à sa demande par Abdou Diouf, son Directeur de cabinet, à cause d’un article sur le Port de Dakar (…) Le premier contact direct que j’eus avec le Président Senghor fut quelque peu heurté. J’ai oublié à quelle occasion j’avais dénoncé une décision économique dont le gouvernement n’avait pas mesuré toutes les conséquences. Le Président me convoqua et m’administra une sévère mercuriale. Comment avais-je osé affirmer que son gouvernement avait pris une décision sans en avoir considéré toutes les implications ? Il ajouta que le Général de Gaule ne tolérerait pas qu’un journaliste sénégalais en France mette en doute la qualité des décisions de son gouvernement (…) »
«Abdou Diouf avait pressenti que le Président Senghor ne finirait pas son mandat et qu’il désignerait son successeur. Dès lors, la voie était toute tracée : se garder de manifester la moindre ambition, fuir toute popularité, se consacrer exclusivement à satisfaire les volontés du maître, veiller à ce que son ombre jamais ne chevauche celle du Président. Abdou Diouf n’est pas un homme d’action, mais de réflexion. Il sut parfaitement suivre cette voie, dut-elle lui en coûter parfois (…)
Les années passaient et s’approcha l’avènement d’Abdou Diouf à la présidence de la République. Je me souviens qu’en novembre 1980, Me Valdiodio Ndiaye, un homme si intelligent, me dit : «Decupper, vous êtes mal parti. Ce n’est peut-être pas Abdou Diouf qui succédera à Senghor ; ce sera son neveu Adrien.» Cette inclination des républicains sénégalais à privilégier, déjà, la succession familiale n’est-elle pas étonnante ? Je me raccrochai néanmoins à ce que m’avait dit, un an plutôt, le Président Kéba Mbaye en son bureau, à la présidence de la Cour suprême : «Ce sera Abdou Diouf, parce que Senghor le voudra et qu’avec lui, il escompte continuer à gouverner le Sénégal par Abdou Diouf interposé.» Il ajouta : «Et je crois qu’il se trompe ! » J’avais tellement confiance en lui que je proposai en comité de rédaction une couverture consacrée à «Abdou Diouf, futur Président» pour le numéro de janvier 1980. La rédaction d’Africa s’y opposa. Elle eut raison. A noter que le Président Amadou Ahidjo du Cameroun fit le même calcul. L’un et l’autre se trompait. Ils n’avaient compris que leurs affidés ne disposaient pas de leur charisme. Ceux-ci devaient affirmer leur propre autorité en se distinguant de leurs maîtres. J’ai signalé que nous étions très peu nombreux à croire qu’Abdou Diouf puisse devenir président de la République. Il était si peu populaire ! C’est dire mon étonnement devant le raz-de-marée des allégeances qui se manifestèrent dès sa prise de fonction. Cela s’explique. Nombre des Sénégalais qui comptaient se trouvèrent soudain face à un dilemme qui mettait en jeu leur personne et leur parentèle : entrer en opposition ou faire allégeance et, tant qu’à faire, être parmi les premiers à s’incliner devant le nouveau prince(…)
LES DRÔLES DE CONSEILS A ABDOU DIOUF
Ainsi avais-je été la première personne civile que le nouveau Président reçût (…) Au cours de notre entretien, je dis à Abdou : «Maintenant, tu n’as plus le droit d’avoir d’amis.» Etonné, il me demanda pourquoi. «Parce que tu détiens désormais le pouvoir de faire et défaire les fortunes. Tu dois donc te tenir au-dessus des intérêts particuliers.» Sans prétendre qu’il suivit mes conseils, je ne cache pas qu’il ait favorisé quiconque. Je me souviens aussi de sa réaction quand je lui ai signalé qu’il venait de nommer ministre un homme que le secteur privé désignait comme «monsieur 10%». Il répondit qu’il se refusait de prendre en compte des rumeurs. Il lui fallait des preuves. «Je préfère, dit-il, renoncer à ma fonction plutôt que de commettre une injustice.» Il était sincère.
Lors de notre dernière rencontre, je présentai la conclusion politique à laquelle prés de trente années de crapahutage en terre africaine m’avait amené. « En Afrique, tout le monde est là haut où chacun a raison. Moi je me réclame du terrain. Je te préviens, je vais te choquer…et te prouver que j’ai raison. Selon moi, la seule solution pour l’Afrique est la dictature, dictature éclairée de préférence (…) Au Sénégal, comme dans le reste du monde, chacun se soucie de son intérêt personnel. Les Africains y associent leur famille, leur village, leur ethnie. Mais aucun n’a le sens de l’intérêt de l’Etat. Dès lors, le chef de l’Etat doit imposer l’Etat par la force.» Il n’y eut pas de discussion. Sans doute me considéra t-il comme un ovni (…)
Abdou Diouf fut-il un mauvais président de la République ? Certainement pas. Un grand Président ? Je ne le crois pas. Son caractère lénifiant, son honnêteté, sa formation administrative ne l’y prédisposaient pas. Eurycide a dit : «Pratiquez la vertu. Mais si vous devez régner, vertu, justice, lois, sachez tout dédaigner.» Abdou Diouf n’a pas su, ce n’était pas dans sa nature. Il n’était ni cassant, ni impérieux, ni intransigeant. Il ne savait pas contrôler, sans doute pour éviter confrontations et prises de sanctions (…) A-t-il réagi lorsque les autobus de Dakar cessèrent de circuler, plongeant d’innombrables citadins dans de graves difficultés ? Il n’y eut pas d’émeutes à Dakar, mais des élections qu’il perdit.»
QUAND KARIM WADE SE BATTAIT AVEC LE FILS DE DECUPPER
«Du troisième des trois Présidents sénégalais sous l’autorité duquel j’ai vécu, Me Abdoulaye Wade, je ne puis rien dire. Depuis son avènement, en avril 2000, je ne l’ai pas rencontré. J’avais pris ma retraite d’homme de presse. Je n’étais plus qu’un spectateur plutôt déboussolé, tant le paysage politique sénégalais avait changé avec l’arrivée, dans les bagages du nouveau chef de l’Etat, d’hommes et de femmes nouveaux. Certes, il y avait des transfuges. Je sais bien qu’il faut manger. Au prix de renier ses allégeances et ses camarades politiques ? Djibo Ka était un cas à part, qui n’a jamais eu d’autre ami que lui-même. Quoi qu’il en soit, le seul homme que je connaissais était le Président et ce, depuis plus de trente années. Nos fils respectifs, Karim et Loic, qui fréquentaient la petite école protestante, en étaient venus aux mains au grand émoi des maîtresses d’école et des mères. Les pères avaient dû intervenir. Ainsi avions-nous fait connaissance et nous nous étions tutoyés.
Des années passèrent et nous nous sommes retrouvés à l’occasion d’un débat sur l’amour au Sénégal, organisé dans les salons de la Croix du Sud. Abdoulaye Wade intervint et compara la femme à un objet. Sans doute, nombre d’hommes présents étaient de cet avis, mais ils n’auraient pas eu l’aplomb de le dire en présence de leur épouse ; lui osa (…) Quelques années après, à Paris, j’entrai dans un café-tabac boulevard Malesherbes, pour acheter des cigarettes. J’étais en train de payer quand deux grands Noirs m’alpaguèrent. C’était Abdoulaye Wade et un de ses amis, qui m’obligèrent à déjeuner avec eux. C’est bien connu, les Sénégalais en France sont toujours ravis de rencontrer quelqu'un du pays. Moi, le Blanc, j’en arrivais ; eux faisaient «retraite» dans la capitale française» (…)
La dernière fois que j’ai rencontré Me Abdoulaye Wade, nous allions débarquer à Paris. Dans l’allée de l’avion, je lui ai demandé : quand rentres- tu à Dakar ? C’était la mi-avril et le 1er mai s’annonçait très chaud. Un grand défilé «Sopi» était prévu, qui inquiétait beaucoup les autorités et la société dakaroise. Abdoulaye me répondit qu’il ne savait pas. «Tu reviendras tout de même pour le 1er mai ?» Sa réponse se résuma en un geste désinvolte de la main. Apparemment, le défilé Sopi du 1er mai n’était pas son premier souci. J’étais stupéfait.»
Rassemblés par Thierno Diallo
19 Commentaires
Mooo
En Janvier, 2014 (17:48 PM)Un ex président de la république du Sénégal à savoir Me Abdoulaye Wade qui nous aura laissé comme héritage deux ponts et la folie des détournements tout le monde détourne maintenant ! et on se demande oû cela va s'arrêter.
Fjk
En Janvier, 2014 (17:49 PM)Forre
En Janvier, 2014 (17:55 PM)Mlé
En Janvier, 2014 (18:13 PM)le titre est choquant, et malgré tout , il continuait à s'interesser au Sénégal et à ses activités politique.
Maintenant quils ont détruis l’Afrique et que ce dernier commence à décoller chacun écrit pour dire qu'il connait trés bien la pays, ou le continent
IL nest même pas connu dans son terroir natal, il veut juste vendre son livre,
dégages LE SENEGAL a un mauvais président mais UNE JEUNESSE qui ne laisse plus le blanc détruire le pays.
Kocc
En Janvier, 2014 (18:15 PM)Ce bouquin n'a aucun interet.
Shengen
En Janvier, 2014 (18:26 PM)Rahn
En Janvier, 2014 (18:50 PM)Tijdiakhasse
En Janvier, 2014 (18:59 PM)I
Web
En Janvier, 2014 (19:04 PM)Pourquoi fuient-ils en France?
Et on veut que les jeunes restent au pays.
Il faut donner l'exemple.
Ces presidents doivent rester au pays et travailler pour ameliorer la situation du pays en utilisant leurs carnets d'adresse pour attirer plus d'investissements et pousser le preisdent en place de mieux travailler.
Deug
En Janvier, 2014 (19:13 PM)Recemment Sarkozy etait l'ami de Khaddafi avant de le faire tuer de facon lache !!!
Et vous Monsieur Decuperes vous n'avez certainement pas tout dit ....
En Passant...
En Janvier, 2014 (19:16 PM)Leuk
En Janvier, 2014 (19:20 PM)It's Right For Djibo Ka
En Janvier, 2014 (21:15 PM)Fans
En Janvier, 2014 (22:32 PM)Kotch
En Janvier, 2014 (22:33 PM)M Bidou
En Janvier, 2014 (07:08 AM)Moustaphisco
En Janvier, 2014 (08:02 AM)Jeditout
En Janvier, 2014 (11:29 AM)Les Milliardaires
En Janvier, 2014 (11:37 AM)Participer à la Discussion