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Politique

Manifestants interpellés en Algérie : "une tentative de casser le mouvement"

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Des manifestants algériens agitent le drapeau national et un étendard amazigh lors de la manifestation hebdomadaire du vendredi à Alger, le 21 juin 2019.

Une trentaine de manifestants ont été arrêtés en Algérie pour avoir porté le drapeau berbère lors des marches contre le pouvoir. Ces arrestations, opérées depuis le 21 juin, ont provoqué l’ire des Algériens qui dénoncent des atteintes aux libertés.

La contestation contre le pouvoir qui secoue l’Algérie se poursuit sans relâche depuis le 22 février. Elle bénéficie même d'un second souffle depuis la multiplication des arrestations de manifestants et de personnalités algériennes, notamment à Alger.

Depuis le 21 juin, une trentaine de personnes participant au désormais traditionnel rassemblement du vendrediont été interpellées et placées en détention préventive pour "atteinte à l’unité nationale". Leur crime : avoir brandi le drapeau amazigh (berbère), un étendardimplicitement interdit par Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire.

"Il m’appartient (…) d’attirer l’attention sur une question sensible, à savoir la tentative d’infiltrer les marches et porter d’autres emblèmes que notre emblème national par une infime minorité. L’Algérie ne possède qu’un seul drapeau, pour lequel des millions de morts sont tombés en martyrs", avait-il déclaré le 19 juin lors d’un déplacement à Béchar. Et d’ajouter que "des ordres et instructions fermes ont été donnés aux forces de sécurité afin de faire respecter strictement les lois en vigueur et de faire face aux individus qui essayent d’attenter à nouveau aux sentiments des Algériens à propos de ce sujet sensible et délicat".

"Une escalade de la répression"

Deux jours plus tard, la vague d’arrestations débutait. "Il s’agit d’une escalade de la répression contre les libertés individuelles et collectives qui nous inquiète. Je pense que la liberté d’expression est de plus en plus menacée en Algérie", confie à France 24 Zoubida Assoul, avocate et présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP – parti d’opposition). Cette ancienne magistrate fait partie du collectif composé d’une trentaine d’avocats qui s’est constitué pour défendre les manifestants arrêtés.

Ces arrestations ont provoqué un élan de solidarité et ont suscité la colère d’une partie de la société civile, des responsables politiques de l’opposition et des leaders syndicaux. Depuis quelques jours, les unes des journaux locaux se font le relais de l’indignation ressentie dans le pays où plusieurs rassemblements de soutien ont été organisés.

Sans surprise, lors de leur marche hebdomadaire contre "le système au pouvoir", mardi 2 juillet à Alger, plusieurs centaines d’étudiants et d’enseignants ont exigé la libération des détenus qui encourent des peines de un à dix ans d’emprisonnement. En signe de camaraderie, certains d’entre eux se sont même peints sur la figure le drapeau algérien et la lettre Yaz ("Z") de l'alphabet tifinagh de la langue berbère, le tamazight.

Les manifestants ont également réclamé la libération de Lakhdar Bouregaa, figure de la révolution algérienne et vétéran respecté de la Guerre d'indépendance, dont l’arrestation a elle aussi provoqué un tollé général. L’octogénaire a été inculpé, le 30 juin par un tribunal algérois, pour "outrage à corps constitué et atteinte au moral de l'armée" et incarcéré après avoir critiqué l’homme fort du pays, Ahmed Gaïd Salah. Il encourt une peine de dix ans d’emprisonnement.

"Faire peur et diviser le mouvement"

"Il y a visiblement une volonté de certains cercles au sein du pouvoir d’étouffer la révolution pacifique, même si nous avons remarqué que la répression policière est de plus en plus présente sur le terrain, note Zoubida Assoul. Ce pouvoir a sa propre feuille de route, qui est finalement la même que celle proposée par Abdelaziz Bouteflika avant qu’il ne quitte la présidence. Il veut maintenir vaille que vaille ce système, en changeant juste quelques visages, or le peuple n’est pas dupe. Par conséquent, il cherche à faire peur aux manifestants et à diviser le mouvement en essayant de nous détourner vers d’autres débats qui ne sont pas ceux du peuple."

Un avis que partage Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une ONG citoyenne et de défense des droits de l’Homme. Il dénonce lui aussi "des atteintes et des violations flagrantes des libertés individuelles et collectives garanties par la Constitution et les conventions internationales signées par l’Algérie".

"Ces arrestations sont une tentative, vouée à l’échec, de casser le mouvement qui exige un changement démocratique réel et de chercher à créer des divisions à l’intérieur du mouvement populaire et pacifique" résume-t-il.

Abdelouhab Fersaoui y voit "un indice supplémentaire qui montre l’absence de volonté politique du côté du pouvoir réel, incarné par le chef d’état-major le général Ahmed Gaïd Salah, de trouver une solution à la crise et de répondre aux revendications du peuple".

Le drapeau amazigh, un symbole fort en Algérie

Ce sont la sévérité des mesures judiciaires et le motif des arrestations qui choquent le plus en Algérie. La détention provisoire est exceptionnelle dans le Code de procédure pénale algérien, précise Zoubida Assoul, qui estime que le juge d’instruction aurait pu "à la limite" placer les manifestants sous contrôle judiciaire ou procéder à une citation directe et les laisser en liberté.

"Au départ, le parquet les a poursuivis pour atteinte à l’unité nationale. Or les faits matériels ne constituent en aucun cas une atteinte à l’unité du pays, ni aucune autre infraction. C’est tiré par les cheveux et assez incompréhensible, à tel point que personne ne peut croire aux chefs d’inculpation retenus contre eux ni à ceux retenus contre le moudjahid (ancien combattant) Lakhdar Bouregaa", indique-t-elle.

L’ancienne magistrate assure surtout qu’aucune disposition légale n’interdit de brandir l’étendard berbère. La langue berbère, le tamazight, est devenue une langue officielle de l’Algérie en 2016, après une révision de la Constitution votée à une écrasante majorité par l’Assemblée populaire nationale. "La culture et les langues amazighes sont constitutionalisées, c’est inacceptable que des gens soient jetés en prison pour avoir brandi un drapeau, d’ailleurs l’article 1 du Code pénal stipule qu’il n’y a pas d’infraction, ni de peine ou de mesures de sûreté sans loi", plaide-t-elle en exigeant la libération immédiate des manifestants. "Honnêtement, je ne comprends pas. En tant que juriste et ancienne magistrate, malgré toute notre expérience en matière pénale avec mes collègues, nous n’avions jamais vu des citoyens algériens être traduits en justice pour de tels motifs, en prétextant une atteinte à l’unité nationale. Je trouve cela dangereux."

"En aucun cas le port du drapeau amazigh n’est en contradiction avec l’histoire de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, souligne Abdelouhab Fersaoui, qui rappelle que le cet étendard est brandi dans les manifestations depuis le début du mouvement, sans avoir jamais posé de problème jusqu’ici. La question identitaire est un acquis d’une lutte précédente, les Algériens ont accepté cette diversité et ils la respectent. Je pense qu’en réalité, le pouvoir veut briser le mouvement en donnant des instructions aux forces de police et en instrumentalisant la justice."

Zoubida Assoul dénonce elle aussi une "sorte d’instrumentalisation et de judiciarisation des manifestations pacifiques", qui sont pourtant garanties par la Constitution comme un droit à tous les citoyens.

Selon elle, le collectif d’avocats entend rapidement faire appel du mandat de dépôt contre ces personnes devant la chambre d’accusation. "Ce sont des citoyens lambda, qui ne sont même pas militants, précise-t-elle. D’ailleurs certains d’entre eux ne manifestaient même pas, et l’un d’entre eux ne faisait que vendre des drapeaux. Ces gens sont descendus dans la rue tous les vendredis comme des millions de leurs compatriotes et présentent toutes les garanties, sans aucun antécédent judiciaire." Et de conclure : "On souhaite que les magistrats appliquent la loi et rien que la loi, car un magistrat n’est pas censé répondre à des enjeux politiques et à des règlements de comptes politiques."



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