La suppression annoncée du poste de Premier ministre va entraîner, inéluctablement, un grand chamboulement institutionnel. D’après le professeur de droit, Dr Ndiogou Sarr, c’est l’Assemblée qui paiera la note puisqu’elle sera délestée de l’essentiel de ses prérogatives et deviendra, par conséquent, «un figurant».
Le chef de l’État compte supprimer le poste de Premier ministre. Quelles en seront les conséquences ?
Je pense qu’une réforme d’une importance aussi grande ne devrait pas être proposée comme ça. D’autant qu’on sort des élections et que cela va changer complètement notre armature institutionnelle avec un chamboulement fondamental de la constitution. Je pense que, par respect, on aurait pu dire au départ, lors de la campagne, que : ‘je proposerai qu’on change notre système institutionnel’.
Le gouvernement est une institution constitutionnelle qui est définie comme collégiale et solidaire avec comme chef le Premier ministre qui en est le coordonnateur. Il est le chef de l’institution gouvernementale qui est prévue par la constitution. Dans notre système constitutionnel, on a des pouvoirs entre lesquels se trouvent des actions. Pour que le Parlement puisse contrôler l’action du gouvernement et le sanctionner, il ne peut passer que par le Premier ministre.
Cela veut dire que si on ampute le Premier ministre de cette institution collégiale qu’est le gouvernement, il n’y aura plus possibilité d’engager une responsabilité du gouvernement dans le sens de la mission qui lui est confié qui est de coordonner et de guider la politique. Donc, fondamentalement, la disparition du Premier ministre va entrainer, par ricochet, un chamboulement de la constitution sur toutes les dispositions qui interpellait le Premier ministre en tant que statut mais aussi en tant que prérogative.
«Pour dire vrai, au plan constitutionnel, on peut l’appeler gouvernement mais cela n’a pas de sens parce que ce n’est plus un gouvernement.»
En cas de suppression du poste de Premier ministre, l’Assemblée nationale pourra-t-elle continuer à contrôler l’action du gouvernement ?
Les prérogatives de l’Assemblée nationale vont être fondamentalement touchées. Parce que sa mission consiste à légiférer, évaluer les politiques publiques et contrôler l’action du gouvernement. Par ce contrôle, elle peut sanctionner le gouvernement à travers la motion de censure et la question de confiance.
C’est pourquoi le Premier ministre, quand il est nommé, avant de décliner sa feuille de route par rapport à l’exécution de la politique définie par le chef de l’État, se présente devant l’Assemblée qui voit si cela est cohérent ou non. Et si l’Assemblée refuse, le Premier ministre est obligé de démissionner.
Maintenant, si le Premier ministre n’est plus là, pour engager la responsabilité collégiale du gouvernement, ce même gouvernement n’aura plus de responsabilité. Par conséquent, c’est un élément essentiel qui va disparaitre.
Mais, en disparaissant, cet élément va entrainer un autre élément. Parce que le fait que le gouvernement soit responsable devant le parlement donne, comme contrepartie, la possibilité au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée chaque fois qu’il pense qu’elle est en train de malmener son gouvernement. Aussi, le Président ne pourra plus dissoudre l’Assemblée parce que la dissolution était le moyen de réponse.
Y aura-t-il de Discours de politique générale si le Premier ministre disparaît ?
L’Assemblée pourrait continuer à demander à entendre les ministres par les questions écrites ou orales. Mais, ces questions ne donneront droit à aucun vote et aucune motion de censure. Il n’y aura plus de discours de politique général parce qu’il n’y aura plus de gouvernement. Pour dire vrai, au plan constitutionnel on peut l’appeler gouvernement, mais cela n’a pas de sens parce que ce n’est plus un gouvernement.
On aura que de simples secrétaires qui sont là pour exécuter des tâches que le Président a bien voulu leur confier. C’est pourquoi le Président mettra devant l’Assemblée un secrétaire général de la présidence, chargé de l’administration, mais qui ne pourra pas engager sa responsabilité devant elle. Les réponses aux questions orales et écrites ne feront l’objet d’aucun débat encore moins un vote.
Finalement, l’Assemblée n’aura plus les moyens d’agir et devient un figurant puisqu’il ne peut plus contrôler ni sanctionner l’action du gouvernement. Surtout que, dans notre système, c’est le président de la République qui convoque le parlement, définit l’ordre du jour et fixe les questions prioritaires.
«C’est comme si on voulait changer de Constitution et avait peur de le dire. Le danger c’est qu’on aura une hypertrophie du pouvoir constitutionnel du président de la République.»
Que restera-t-il à l’Assemblée nationale ?
Peut-être la mission de contrôle des politiques publiques. Et, jusqu’au moment où je vous parle, on n’a pas encore défini les mécanismes de contrôle des politiques publiques. Pour vous dire que le président de la République est en train de changer fondamentalement notre système institutionnel et, à la limite, notre régime.
Quelles sont les conséquences qui en découleront ?
Si on doit chambouler toutes ces dispositions de la Constitution, c’est comme si on voulait changer de Constitution et avait peur de le dire. Pour moi, le danger c’est que toutes les prérogatives du Premier ministre, qui en réalité est un exécutant du président de la République, retourneront au Président.
On aura une hypertrophie du pouvoir constitutionnel du président de la République. Ce qui est plus grave, c’est que le Premier ministre dispose, dans la constitution sénégalaise, de toute l’administration. Aussi, à partir de la suppression, ce sera le chef de l’État qui va disposer de toute l’administration. Cela va créer une centralisation à outrance et une concentration administrative qui déboucheront, à mon avis, sur une inefficacité.
7 Commentaires
Usa
En Avril, 2019 (00:55 AM)Anonyme
En Avril, 2019 (02:37 AM)Participer à la Discussion