Ouverture de bases militaires au Sénégal et dans six pays : Le Canada entend jouer un rôle de puissance majeure

La récente décision d’Ottawa d’ouvrir une base militaire au Sénégal et dans six autres pays du monde (Kenya, Allemagne, Jamaïque, Koweït, Corée du Sud et Singapour) rompt avec une image modérée et intermédiaire du Canada dans le monde. Le souci de doter les forces canadiennes d’une capacité de réactions rapides sur les théâtres d’opérations de guerre, de maintien de l’ordre et de catastrophes naturelles, structure la nouvelle stratégie diplomatique d’Ottawa dénommée Réseau de soutien opérationnel (Operational Support Hubs Network). Le Canada du Premier ministre conservateur, Stephen Harper, cherche à démontrer qu’il entend jouer un rôle de ‘puissance majeure’ en toute rupture avec ‘la tutelle’ du grand frère américain, le puissant voisin d’à côté.

(Correspondant permanent à Montréal) - Le Canada a-t-il changé ? Les spécialistes des relations internationales et les dirigeants des Organisations non gouvernementales répondront par l’affirmative. Les actes posés volontairement par le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, depuis une décennie, démontrent une farouche volonté d’Ottawa de prendre son autonomie des États-Unis, mais surtout de revendiquer un rôle de superpuissance dans les relations internationales. Le Pr Ndiaga Loum du Département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (Uqo), estime que si, ‘dans les faits, l’engagement dans la première crise du Golfe en 1991 et la présence militaire en Afghanistan après les événements du 11 septembre 2001 accréditent l’idée de ce que nous appelons un ‘suivisme stratégique’, le refus ferme de s’engager aux côtés des Usa dans la seconde crise du Golfe en 2003 démontre une volonté d’autonomisation plutôt réaliste au vu de l’impopularité de la guerre menée par Bush’.

Pour le Premier ministre du Canada, un engagement militaire soutenu à travers le monde est déterminant dans la quête d’une puissance mondiale. Une certaine tradition avait tendance à reléguer le Canada à un second niveau dans le jeu international et il s’est longtemps contenté de ce rôle de ‘puissance moyenne’. Et malgré les victoires canadiennes lors de la bataille de la Crête de Vimy lors de la 1ère guerre mondiale et consacrant l’entrée militaire et symbolique du Canada sur la scène internationale, le pays n’a jamais pu entrer dans le cercle restreint des superpuissances qui décident dans le monde. La preuve est que les États-Unis s’opposèrent à toute participation du Canada aux discussions de 1918 pour préparer la conférence sur la paix après le premier conflit mondial. Le Canada, considéré alors comme puissance intermédiaire ou moyenne, chercha, aux côtés d’autres pays comme l’Australie, à se démarquer des autres pays sans aucune influence.

L’opportunité de la deuxième guerre mondiale et surtout les atouts d’Ottawa en matière d’aviation civile, l’énergie atomique et le commerce international donnèrent au Canada la possibilité de jouer un rôle plus important sur la scène internationale. ‘Le Canada s’assume ainsi à partir de 1945 comme une ‘puissance moyenne’, ce qui relève d’un calcul politique pour objecter contre le projet d’une Onu sous contrôle des grandes puissances’, selon le Pr Ndiaga Loum. L’ancien Premier ministre du Canada, Lester Bowles Pearson, confirmait à l’époque cette nouvelle option canadienne : ‘Je crois que le Canada est en train de se tailler une place de chef de file parmi un groupe d’Etats assez importants pour être nécessaires aux quatre grands, mais assez pour être accepté comme l’un des leurs. En fait, la position d’un petit parmi les grands ou d’un grand parmi les petits est une position très difficile… Les Etats importants ont la puissance et la responsabilité, mais ils ont la main haute sur tout. Nous, les Etats intermédiaires, n’obtenons souvent, semble-t-il, que le pire des deux mondes’.

Leviers économiques

Le Canada compte beaucoup sur ses atouts économiques pour contraindre les autres acteurs de la scène internationale à lui accorder une plus grande place. Ottawa va profiter de séries d’événements comme le choc pétrolier des années 73-74 qui donna un rôle accru aux pays producteurs de pétrole, l’importance des denrées alimentaires et de l’énergie, et le déclin tout de même relatif des États-Unis comme puissance dominante du système international à la fin de la guerre du Vietnam. Il sait désormais que de tels atouts peuvent lui permettre de jouer un rôle de ‘super puissance’. Des spécialistes en relations internationales comme Peyton V. Lyon et Brian W. Tomlin partent d’une approche basée sur un classement selon les ressources, les moyens militaires, économiques et diplomatiques, pour classer le Canada au rang de 6e superpuissance du monde, devançant même la France.

L’ancien ambassadeur du Canada à Washington, Alla Gotlieb, fait, quant à lui, une analyse statistique des indices de performance au terme de laquelle il place le Canada devant 150 autres pays et décrète qu’il s’agit là d’une ‘puissance majeure’. Une telle approche est aussi véhiculée par le Premier ministre actuel du Canada, Stephen Harper, qui, en 2006, note que ‘le Canada a une économie solide, basée sur les principes durables du marché libre. Nous sommes en tête des pays du G7 pour le rendement économique et fiscal. Et c’est une superpuissance énergétique émergente, le seul producteur stable et en plein essor de cette marchandise rare, dans un monde instable. Cette année et la suivante, nous devrions avoir le Pib le plus haut du G7. Cela fait 27 trimestres consécutifs que notre compte courant est excédentaire. Au plan actuariel, notre régime de retraite est bon pour les 70 prochaines années. Et nous avons réduit de façon spectaculaire la dette du gouvernement - qui est descendue à 35 % du Pib – la plus basse du G7 et encore en baisse’.

COOPERATION INTERNATIONALE : Ottawa opte pour une troisième voie

En optant pour une autonomisation par rapport aux États-Unis et en jouant sur ses atouts économiques, le Canada cherche à définir une approche dite de la 3e voie en politique internationale. Une telle vision fut incarnée par le Premier ministre libéral Pierre Elliott Trudeau à partir de 1968. La ‘troisième voie’ comme héritage se perçoit comme la diversification des partenaires du Canada afin d'échapper à ‘l'impérialisme américain’. Pierre Elliott Trudeau visita ainsi Cuba, au grand dam des Etats-Unis. Il sera le premier dirigeant nord-américain à renouer les relations avec la Chine communiste en 1970. Le Canada est bien accueilli par les pays du Sud.

L’absence d’un passé colonial donne à Ottawa une excellente côte d’appréciation dans la plupart des pays sous-développés et même dans ceux dits émergents et l’amène à exercer ‘une influence moins bruyante’, mais souvent plus efficace à long terme, selon le Pr Loum. Ce dernier note cependant que la nouvelle approche des conservateurs très portée à soutenir systématiquement Israël dans son conflit avec la Palestine, a eu pour effet collatéral de nuire les activités des Organisations non gouvernementales de promotion des droits de l’Homme à qui Ottawa n’accorde plus la plénitude des subventions nécessaires à leur déploiement sur le terrain international. Mais le professeur Loum qui dispense le cours de ‘Système mondial et de relations internationales’ aux étudiants de l’Université du Québec en Outaouais (Uqo), se dépêche de souligner que ‘la complainte de ces organismes de droits humains n’a pas un écho retentissant sur les populations canadiennes plutôt focalisées sur les questions économiques, dans une ambiance générale faite d’incertitude accentuée par les récentes crises et la peur de l’avenir’. Là est l’explication des succès électoraux du Parti conservateur qui, avec sa nouvelle majorité, a les coudées franches pour dérouler, avec une plus grande assurance, ses nouvelles orientations dans les domaines des affaires étrangères et de la coopération internationale.