Université du Futur africain : Encore des milliards dépensés pour rien ?

L’Université du Futur africain de Sébikhotane est présentée comme l’un des projets-phares du président Wade. Mais ses travaux sont à l’arrêt depuis des années. Suscitant maints brocards. Retour vers le futur.

A l’approche du chantier, une meute de chiens (ceux des deux vigiles en charge de la sécurité des lieux, qui se relaient matin et soir), sonne l’alerte. C’est l’Université du Futur africain, ou du moins son embryon. Situé à environ 2 kilomètres du village de Sébi-Ponty, du nom de la célèbre école fédérale ouest-africaine, William Ponty, installée ici en 1937. On n’y accède en venant des villages de Ponty ou de Déni Malick Guèye, à travers sentes et sentiers chaoteux. Si la pose de la première pierre a été effectuée en 1992 sous le régime socialiste (l’amphithéâtre Hassan II), les premiers coups de pioches n’ont commencé qu’à partir de 2002. Aujourd’hui, les premiers bâtiments sont sortis de terre.

A l’entrée principale du chantier, le bâtiment administratif (3 étages), en gradins sur les deux ailes, est presque achevé. Une partie des travaux de finition aussi comme la peinture, le carrelage, le plafonnage… Sur les côtés gauche et droit du site, se dressent deux imposants édifices en forme de Y, qui abriteront les futures facultés de l’université. Douze autres édifices du genre sont prévus. Au centre, trône l’imposante bibliothèque (qui sera numérique) en forme de pyramide inversée, dont l’architecture, perceptible à des kilomètres à la ronde, s’apparente à une énorme soucoupe volante échouée au cœur de la brousse de Sébi-Ponty.

A l’arrêt depuis 2006, les bâtiments résistent pour le moment, aux assauts du temps et de ses intempéries. L’extérieur est relativement propre, excepté quelques restes de matériaux (bois, ferraille…) qui traînent çà et là. Le passage, il y a peu, des engins du génie militaire basé à Bargny, y est, sans doute, pour quelque chose. Selon le vigile, pendant l’hivernage, le règne végétal dicte sa loi. Tout autour, de grands jardins maraîchers (choux, carottes…) verdissent le paysage. A un jet de pierres de l’ancien domaine agricole de Bud-Sénégal où poussent abondamment melon, haricot vert, concombres, tomate… Souvent passent un agriculteur, flanqué de son coupe-coupe et revenant de son labeur, un troupeau de vaches… De temps à autre, le bruit d’un pick-up, troue le silence et empoussière, au passage, l’atmosphère. Bref, un décor banalement bucolique. L’intérieur des bâtiments est également propre et en bon état. Débris de fer à construction, échafaudages en bois, numéros de téléphones portables, graffitis souvent en anglais, dessins de serpents griffonnés sur les murs… témoignent, d’une présence humaine, naguère vivante (environ 400 ouvriers s’activaient dans le chantier).

‘ L’Université serait hantée par des esprits ! ’

L’idée, grandiose, il faut le reconnaître, était de ‘doter l’Afrique d’une institution académique à la hauteur des plus grandes universités du monde’. A l’image des universités de Harvard, du Massachussetts Institute of Technology (Mit) aux Etats-Unis ou celles de la Sorbonne, Paris Dauphine (France). Selon Wade, son concepteur, l’Université du Futur africain s’appuierait sur l’utilisation optimale des technologies de l’information et de la communication. Et des disciplines aussi novatrices et utiles pour le développement africain y seront enseignées telles que l’agro-business, la génétique, l’élevage, la recherche-développement (R&D), la robotique…

Depuis des années, les édifices ne sont pas ‘couverts de ronces’, mais le projet si cher à Wade, s’enlise tout de même, dans la brousse de Sébikhotane. Papa Mohamed Camara, directeur de l’université et conseiller à la présidence de la République, daigne avancer quelques raisons. ‘Du fait de la crise financière et économique, explique ce dernier, nos partenaires sont pour le moment sur d’autres fronts’. Assurant qu’il travaille quotidiennement sur le volet strictement scientifique du projet, Camara ajoute, sibylin, ’c’est Dieu qui nous avait aidé au commencement et c’est lui qui nous aidera à le parachever’.

Si certains avancent que la rupture des relations diplomatiques entre le Sénégal et Taïwan, un des principaux bailleurs du projet, semble-t-il, y a donné un coup d’arrêt, un habitant du village de Ponty, se risque à des explications mystiques. A l’en croire, le site de l’université situé au cœur du terroir lébou (Deni Demba Codou,Déni Babacar Diop et Déni Malick Guèye), est hanté par des ‘esprits’. Il a été, d’ailleurs, témoin, à un moment où une cascade de blessures mystérieuses frappait les ouvriers au début des travaux, de sacrifices d’un bélier et d’une chèvre, pour ‘calmer’ les esprits. Mais des prêtresses lébous de la localité, toujours selon lui, ont jugé les sacrifices ‘dérisoires’.

Mais en attendant, toutes les personnes interrogées, s’essayent à diverses conjectures afin de donner du sens à l’arrêt aussi brusque qu’insensé d’un projet qui a déjà englouti des milliards de F Cfa, mais pourtant visionnaire. Seul Wade l’inspirateur, au premier chef, lui qui est sur plusieurs autres fronts de grands travaux, pourrait, en définitive, y répondre.