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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Qui va sauver la République ?

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Qui va sauver la République ?

« Je sais maintenant qu’à l’origine,
le chaos fut illuminé d’un immense éclat de rire »
René DAUMAL

Les préoccupations du président de la République, décidément, voyagent comme les loumas du vendredi, tantôt au plateau, tantôt à la Gueule-tapée. Après les ministres qui parlent trop, l’ère est aux députés qui travaillent peu. C’est à croire que la sainte maxime « il faut travailler, toujours travailler, encore travailler », prononcée il y a sept ans, était tombée dans les oreilles d’un bouché.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Après bientôt trente années de vie parlementaire, quarante années d’une vie partagée entre son exil parisien et sa villa dorée du Point-E, Abdoulaye Wade découvre les vertus du travail. En vingt ans, en dehors de la publication de son « Destin pour l’Afrique » (un gros navet littéraire), ce « monstre du travail » n’a rien fait du tout. Elu député depuis 1978, il a marqué toutes les législatures par son absence. C’est pour lui que cet article 104 est entré dans la législation parlementaire. Une responsable du Parti socialiste s’en était émue plusieurs fois, accusant l’ancien opposant de ne se présenter à l’Assemblée nationale que pour sauver son salaire. Il n’a jamais été à l’origine de la moindre proposition de loi. Quand, au début des années 70, on lui a demandé de choisir entre son cabinet d’avocat d’affaires et l’enseignement, il a choisi son cabinet. Il y passait tout son temps, ajoutant à ses honoraires, à partir de 1978, son salaire de député. Quand une fondation allemande a commencé à assurer à son parti 20 millions de francs Cfa par mois, il a fermé son cabinet pour rester chez lui. Quand cette fondation a cessé de financer son parti, il est entré dans le gouvernement, pour occuper un ministère d’Etat « sans portefeuille ». C’est-à-dire, à proprement parler, à ne rien faire. Il passait tout son temps à voyager aux frais de l’Etat, au point de susciter la colère d’Habib Thiam. Depuis qu’il a été élu président de la République, il passe un jour sur trois dans une suite royale à l’étranger, un jour dans son avion, un jour à recevoir les transhumants, les femmes et les anciens. C’est pourquoi, nos textes de loi n’ont jamais été aussi mal écrits que sous le règne de ce professeur agrégé, les bévues n’ont jamais été aussi nombreuses. A sa « science » s’ajoute une sorte d’autisme qui l’a toujours habité. Il ne sort jamais de son intérieur dans lequel son égo règne en maître.
On m’accusera encore de faire de l’acharnement. Non, je dois reconnaître à cet homme, pour être quitte avec tous ceux qui m’accusent de parti-pris, son génie de la « com ». En deux jours, il a détourné l’attention sur son état de santé, pour centrer le débat sur une question qui n’en est pas une, l’absentéisme des députés. Il leur donne des VUS climatisés, et va s’étonner qu’ils ne soient jamais à Dakar. Pour cela, et c’est ça qui est pitoyable dans cet exercice, on lui a sorti une note du député Iba Der Thiam, nettoyée, et lue comme une « adresse solennelle » du président de la République aux députés. Et Iba Der Thiam a trouvé ce discours, qu’il a rédigé de ses propres mains, « de haute facture ». Le texte est un concentré de propositions comme les aime le « député du peuple » : inutiles et sans lendemain.

J’avais décidé, je dois avouer, de ne plus m’en prendre frontalement à cet homme. Je crois qu’en l’état actuel des choses, il faut le plaindre au lieu de l’accabler. Je crois, comme lui, que ceux qui sont avec lui, à commencer par son fils, l’ont trahi. Pas pour n’avoir jamais bien exécuté ses ordres, comme on pourrait le penser, mais pour l’avoir laissé persister dans la bêtise. Quand, au début de l’année 2002, ses oreilles ont commencé à montrer les premiers signes de faiblesse, il a, contre le bon sens et l’ordre de ses médecins, multiplié les voyages, et fait réfectionner son avion. Ils ont d’abord pensé aux commissions qu’ils allaient recevoir, avant de penser à la santé du pays et à celle du président. Il était évident que, malgré les prouesses de la médecine, son corps céderait. Quand, le 17 janvier, il a interrompu sa déclaration sur sa rencontre avec Idrissa Seck, pour retourner dans son bureau, pris par des spasmes et des toux, son entourage aurait dû l’envoyer se soigner en France. Mais la réélection était trop importante. Pas pour lui, mais pour sa caste de privilégiés et ceux qui rêvent de lui succéder un jour. Le jour de sa réélection, alors même que le Conseil constitutionnel n’avait pas encore proclamé les résultats définitifs, le Conseiller en communication de Karim Wade a été le premier à déclarer, sur Sud Fm, que la question de la succession devait être ouverte. Il ne l’aurait pas fait, si Karim Wade ne l’y avait pas invité.
Le président de la République est malade, il ne gouverne plus ce pays. C’est une réalité avec laquelle, malheureusement, nous devrons faire. Si nous continuons à nous enfermer dans notre aveuglement, nous risquons de plonger ce pays dans un profond chaos.
S’il disparaissait aujourd’hui, et c’est malheureusement possible, nous serions dans un vide juridique épouvantable. La Constitution dit que le président de la République est remplacé en cas de vacance du pouvoir par le président du Sénat. Un Sénat qui n’existe pas encore. Une guerre de faction aurait opposé tous les prétendants actuels, et ils s’y préparent d’ailleurs. Nous manquons de lucidité pour voir ces évidences. Il est pourtant clair que l’empressement avec lequel on veut mettre en place le Sénat pour désigner son successeur a quelque chose de suspect. Dans des conditions normales, Abdoulaye Wade n’aurait jamais montré un tel empressement à désigner son successeur constitutionnel. Lui qui aime tant les images et la prise de parole, se réduit désormais à un rôle de figurant. On le montre, la main gauche cachée dans le dos, saluer ses hôtes. Les plans coupés qu’il affectionnait sont remplacés par des plans d’ensemble.
Cet homme ne mérite pas tout ce qui lui arrive, malgré tout le mal qu’on peut penser de lui. Il entendait, comme il le fait, se battre jusqu’au bout. Mais là il mène un combat pour les autres. Les autres, ce sont toutes ces personnes qui nomment à sa place, aux fonctions civiles et militaires. Ceux qui lui font nommer des gens qu’il ne connait ni d’Adam ni d’Eve; ceux qui établissent sa fiche d’audience, qui l’obligent à des fonctions de représentation, alors qu’il doit se reposer. Il est vain de confisquer aux membres de son entourage leurs téléphones cellulaires, pour que le secret sur son état de santé soit bien gardé. Il arrivera un jour où nous accepterons, contre nos propres mythes, la réalité de son âge, de sa maladie. Parce que c’est un homme comme tout le monde!
Il veut encore, à la rentrée au mois de septembre, remanier le gouvernement qu’il vient de former, alors qu’une crise agricole sans précédent menace le monde rural. Maître Wade s’est séparé de tout le monde. Il ne peut pas continuer à changer de gouvernement, à se dire tout le temps trahi, et que le pays fasse comme si tout allait bien. Sa parano, qui grandit avec son âge, l’a poussé à un remaniement de la sécurité présidentielle. De grands parrains colombiens, à qui les deux tonnes de cocaïne étaient destinés, auraient été trahis, alors qu’ils avaient « saupoudré »  son entourage. C’est leur vengeance qui ferait peur. Cette affaire de drogue, si elle est menée avec rigueur, va éclabousser les familles présidentielles à Bissau, Conakry et Dakar. Je ne peux pas manquer de compassion pour cet homme. Mais, chers compatriotes, avons-nous seulement conscience de la gravité de la situation?

Non, il ne faut pas s’y tromper, cette inflation des prix, cette crise sociale, institutionnelle, sont le signe d’une fin inéluctable.  Ailleurs, sous d’autres cieux, tout est parti de là. Une forte inflation qui met l’économie à terre, une tentative autoritaire pour maîtriser les prix. Mais le marché lui-même sent cette dépression. Le vide politique et l’incertitude sont les pires ennemis de l’économie.
Je disais à un ami à quel point j’étais inquiet, et à quel point cette situation rappelle l’évolution de certains pouvoirs, comme ceux d’Houphouet Boigny et de Mobutu. Leur mégalomanie les avait poussés, en pleine crise inflationniste, dans des dépenses irrationnelles. La crise du cacao n’avait pas empêché Houphouet de se construire une réplique de Notre Dame de Rome, pour près de 40 milliards. Mobutu s’était construit une nouvelle capitale, Gbadolite, avec son palais somptueux. Alors que la raison devrait l’en dissuader, Abdoulaye Wade multiplie les cadeaux, dont le sien, un avion qui va coûter plusieurs dizaines de milliards. Ils ont, dans des circonstances presque similaires, à coups de faux bulletins médicaux, essayé de cacher le même mal qu’ils avaient, un cancer de la prostate. 
C’est malheureusement une maladie qu’on ne peut pas cacher indéfiniment. L’impréparation et la surprise générale ont plongé ces pays dans un profond chaos social. Il faut prier pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Le Pds n’a pas encore de chef, et le président de la République n’a pas encore de successeur.

<21>[email protected]



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