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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Contribution ] J’ai (re)trouvé un pays compliqué

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[ Contribution ] J’ai (re)trouvé un pays compliqué

     Il y a parfois un fossé  énorme entre ce qu’on lit à travers les supports d’information et la réalité que ces derniers sont censés décrire. Loin du Sénégal, je fus souvent habité par des sentiments d’angoisse, de désespoir et de crainte devant l’ampleur du délabrement du tissu social qui se reflétait à tous les niveaux. J’attendais de voir… le contraire. Grande ne fut cependant pas ma surprise quand quelques semaines de présence physique dans notre cher pays m’ont clairement révélé les contours de cette déchéance polymorphe qui touche les fondements les plus respectables de notre société.

     J’ai (re)trouvé un pays en chantier dont les dernières moutures tardent toutefois encore à se dessiner. Les optimistes jubilent déjà et exhibent les bribes de réalisations tandis que les sceptiques s’alarment davantage devant les lambeaux de la mauvaise gouvernance. Où se situe le réalisme ? Des deux côtés, peut-être!  Mais il va falloir encore creuser et bêcher pour voir chez les uns un trop peu d’ambition et chez les autres une insatiété incommodante. Le tout dans un contexte où le vrai et le mensonge se relaient ; l’objectif et le subjectif se superposent ; et où la politique vient déconstruire les repères.

      Le Sénégal est dans une ère confuse. Confusion de rôle, de statut, d’idéal, d’objectif et de combat. La forte propension à l’imposture, la méconnaissance des responsabilités individuelles, et le culte inouï de la facilité minent notre société. D’ailleurs, la nouvelle trouvaille qui veut que l’on ne gagne pas de l’argent par le travail mais par la magouille et le fricotage est une parfaite illustration de ce dangereux glissement d’idéal : « khaaliss kenn douko liguëy, dagnou koy lidiënti » (l’argent ne se gagne plus par le travail, mais par le fricotage). Un changement de paradigme inquiétant qui marque aussi toute une philosophie de vie tournée vers l’incurie par rapport au bien public. Mais que reste-t-il encore à espérer quand l’attention à soi ne figure plus dans le chapitre des « agendas» ?

      J’ai (re)trouvé un pays qui maltraite le bien public. Le paradigme positif du « soin » du bien public est dangereusement remplacé par celui négatif de son utilisation pernicieuse et insouciante. La rue, qui est l’espace par excellence où le bien public s’offre et s’exemplifie, est devenue un territoire chaotique où ne règnent que les intérêts particuliers très souvent divergents : un anarchisme primitif dû au manque de conscience par rapport à ce que chacun peut apporter pour le bien de tous ; « Sunugal »  rappelle pourtant le destin commun logé au cœur de la vie d’une nation. Si le Sénégal veut demeurer une nation, il faudrait que cette conscience de servir l’ « être ensemble » soit présente en chacun de ses fils.  

     Les repères qui jadis constituaient le ciment de notre communauté sont subrepticement sapés par de nouveaux paradigmes portés par des « hommes nouveaux » incapables de faire la différence entre bien commun et propriété privée, entre usage et utilisation, entre nécessité et fioriture, entre fonction tout court et sacerdoce. Ces hommes, portés qu’ils sont par l’étoile voluptueuse de plaisirs éphémères, en viennent à oublier les réalités profondes de la vie qui pourtant en appellerait à des considérations encore plus chastes, encore plus simples. Ces hommes de peu, parce qu’ils sont pris dans les ténèbres de l’autoglorification, tombent dans un nihilisme substantiel : sans Dieu et devant tous les hommes. La griserie du pouvoir est une lumière si intense qu’elle foudroie les yeux de l’âme et libère les forces animales (éco)toxiques.

     L’humilité qui requiert que nous soyons conscients de nos limites intellectuelles, morales et tout simplement humaines, cède la place à une arrogance et une superbe qui prétendent faire de nous des surhommes, maîtres devant l’éternel, « mesures de toutes choses ». L’arrogance est l’apanage de ignorants qui restent encore incrédules et abasourdis devant la grandeur et la dignité des stations qu’ils occupent.

     Ainsi, en fait de repères, il y a en que cette course folle à « avoir » ; le projet d’ « être » est devenu vieillot, élitiste même, trop aérien pour être poursuivi. Ceux qui incarnent les repères trônent donc au Panthéon de l’ « avoir » et du « pouvoir » qui va avec. Et le savoir ? On s’en occupera après, sans doute. « Après », c’est en fait jamais ! Toute vie est choix, certes. Mais tout choix est aussi une vie. A l’heure des comptes, on doit tâcher de ne pas s’en prendre à soi-même. Quand les repères font défaut, c’est le vide autour des hommes et des consciences. Mais quand les repères sont vicieux et tordus c’est le chaos abject qui donne l’impression d’un ordre qui n’en est pas un.

     Le poisson pourrit par la tête. Notre élite politique et maraboutique est aux agonies. On aurait à en rire, si ce ne fut pas tragique. Le drame est à la mesure de l’angoisse de la perte criarde de repères. La dégringolade est vertigineuse. L’horreur du vide se fait de plus en plus sentir. Un peuple se hisse dans/par les valeurs. Mais il s’ensevelit aussi dans les profondeurs de la décadence lorsque les vertus s’effondrent.

     La connivence et la complicité entre élite politique et élite maraboutique sont si intenses, complexes et compliquées qu’il faille être un savant prophète infaillible pour en donner les réels contours et présager des épilogues. Il reste toutefois que ce mariage à plusieurs cordes, laisse ouvertement entrevoir des aspérités aux relents suicidaires. Car entre cette élite maraboutique qui a fini de vendre son âme au diable – diable qu’il devrait nous aider à combattre – et cette élite politique maîtresse dans l’art de capitaliser les « rencontres », se joue une tragédie dont aucun des acteurs ne sortira indemne. Quand le bon Dieu se sent « piégé » il choisit bien le moment pour exposer et vilipender les commanditaires de cette forfaiture… C’est « en Jeans », comme disait l’autre, que le Dieu de nos jours s’invite à nos tables…

     Certains guides religieux en oublient magistralement le sens de leurs gestes quotidiens qui doivent être fondamentalement arrimés aux « paroles de Dieu. » Et demain, demain sans doute, ils auront à porter une grande responsabilité devant l’Eternel et devant ce peuple qui leur a tout donné, tout reconnu, et tout rendu. On s’imagine déjà le jugement de l’au-delà, avec une sorte de « Schadenfreude » (plaisir malicieux) quand la vérité se révélera dans sa crudité étincelante et que les masques tomberont. Mais avant de penser au saut vers cet au-delà encore incertain pour nous du commun des mortels, la réalité de l’ici-bas nous interdit de nous taire. Car tout silence serait compromission et toute inaction approbation.  

     J’ai (re)trouvé un pays très bavard ; un pays otage de la politique dont le modus vivendi consacre la ruse, le mensonge et l’indécence pour jeter aux poubelles les valeurs sacrosaintes qui fondent la politique comme art de gérer les affaires de la cité. Ce que jadis le savoir te procurait, c’est maintenant la langue pendue qui te l’offre…sur un plateau d’argent. L’imposture est de mise, la décence aux oubliettes. S’établissent alors toutes sortes de tares et de vices qui minent la société en profondeur. Si on n’y prend garde, on risque de se retrouver un jour avec une société fantôme et un empereur nu. Qu’allons-nous alors raconter aux générations futures ?

     Le problème des valeurs pourrait aussi se résumer en ce manque criard d’élégance, caractéristique de ceux qui sont au devant de la scène. Il est propre à l’élégance de se donner des limites, pour la sauvegarde des valeurs, et pour le bien-être de la société dans son ensemble. L’inélégant ne peut regarder plus loin que le bout de son nez. Il est aveugle aux valeurs, car dominé par des reflexes autistes qui l’empêchent d’étendre ses perspectives. L’élégance, par contre, est une question d’âme, et non de mine extérieure. L’homme élégant s’interdit des choses, tandis que l’inélégant suce jusqu’aux dernières gouttes les non-dits de la lettre et engloutit l’esprit. L’un sait démissionner, tandis que l’autre est toujours démis ; l’un se consacre aux autres, tandis que l’autre les traite toujours comme moyens pour arriver à ses fins. Entre l’un et l’autre, s’étend tout l’abîme entre la valeur et la « de-valeur. » 

     L’impressionnisme du tableau « Sénégal » tient aussi du caractère polyphone – ou plutôt cacaphonique – des débats. Il est vrai que dans une démocratie toutes les voix comptent et que la dialectique délibérative doit en constituer le forum par excellence. Mais l’effusion de toutes sortes d’opinion venant de toutes sortes d’hommes, en tout lieu et en tout temps, peut porter un sacré coup à l’environnement démocratique. En outre, quand tout ce qui n’est pas interdit semble permis, la voie aux abus reste grande ouverte. Une démocratie se nourrit certes d’échanges ; mais elle abhorre les imposteurs adeptes de faux-fuyants. Une démocratie se meurt quand ceux qui ne savent rien parlent de tous !

     Aux confins de ce monde trouble que représente le Sénégal, il ne s’agit pas d’être nostalgique, encore moins fataliste. Car la réponse se trouve en nous, Sénégalais, qui avons la souveraineté de pouvoir encore dire non, sans avoir de compte à rendre à personne. Quand l’insouciance est érigée en credo de gestion, et que la recherche de raccourcis est édictée en règle de réussite, il n’est qu’une prise de conscience individuelle qui puisse sauver le bateau Sénégal des eaux troubles dans lesquelles il a été engagé. Les instants vertigineux de la nausée doivent inélectublement laisser place à la réflexion constructive pour sauver le soldat Senegal. Heureusement qu’il y a encore des gens qui s’inscrivent dans le régistre clairesemé de ceux qui oeuvrent pour un « à-venir » radieux pour le pays de la Téranga, cette terre que nous chérissons tant.  



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