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Politique

Abdoulaye Wade « Notre dépendance au riz est un héritage de la colonisation »

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Abdoulaye Wade « Notre dépendance au riz est un héritage de la colonisation »

Abdoulaye Wade. Le président sénégalais revient sur la hausse des prix alimentaires :

De passage à Paris, pour quelques jours, Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, est en tournée promotionnelle pour vendre son dernier livre (1). Il revient sur la crise alimentaire qui frappe notamment le Sénégal.

Un mois après les premières manifestations contre la hausse des prix alimentaires, et notamment du riz, la situation est-elle toujours aussi tendue ?

Il faut bien comprendre que les Sénégalais n’ont pas subi de plein fouet la hausse des prix du riz puisque celui-ci est largement subventionné depuis un an et demi. Nous avons dépensé 140 milliards de francs CFA [214 millions d’euros, ndlr] pour limiter l’impact de la hausse des prix mondiaux. Je ne dis pas que tout le monde est satisfait de la situation actuelle, mais il n’y a pas de tension aujourd’hui au Sénégal. La première manifestation, organisée par une ONG locale, a mobilisé entre 50 et 60 personnes. Puis l’opposition s’en est servie pour réunir 2 000 personnes. C’est le jeu normal d’une opposition.

Mais pourquoi le Sénégal se retrouve-t-il aujourd’hui dans une telle dépendance à l’égard du riz ?

C’est d’abord l’héritage de la colonisation. L’administration française a massivement exporté son riz cultivé en Indochine au Sénégal. Et progressivement, nous l’avons adopté. Pour payer ces importations, le Sénégal s’est spécialisé dans la monoculture d’arachide qui a très longtemps alimenté les huileries de Marseille et de Bordeaux. Avec l’indépendance du Sénégal, ce système s’est arrêté, mais notre dépendance vis-à-vis du riz est restée. Aujourd’hui on doit en importer 600 000 tonnes chaque année.

Pourquoi entre-temps ne pas avoir développé une culture locale du riz ?

Le Sénégal a une autre spécificité. Il est le seul pays d’Afrique à importer 100 % de riz brisé. C’est une sorte de riz cultivée en Thaïlande, plutôt de faible qualité, qui était destinée à l’origine aux oiseaux. Notre génie culinaire a été de savoir l’utiliser dans notre plat national, le riz au poisson. On a bien essayé de cultiver localement du riz, mais cela a été un échec. L’Union européenne a dépensé beaucoup d’argent, mais sans tenir compte des réalités locales. Si bien que le riz produit au Sénégal coûtait plus cher que le riz importé. Bref, beaucoup de bêtises ont été faites.

Et l’Inde est devenu votre premier partenaire…

Depuis mon arrivée au pouvoir [en 2000, ndlr], j’ai cherché à diversifier notre approvisionnement en riz qui venait alors exclusivement de Thaïlande. Aujourd’hui, l’Inde est notre premier fournisseur. Il y a trois ans, elle a commencé à envoyer des équipements et des techniciens pour former les Sénégalais à la production de riz. Le choc récent de la hausse des prix m’a incité à fixer l’objectif d’être autosuffisant dans six ans. C’est tout à fait possible.

Quelle est la contrepartie de cette coopération ?

Demandez-leur. Il se trouve que l’Inde investit beaucoup en Afrique. Et que les Indiens sont capables de prêter de l’argent à long terme aux pays africains. Beaucoup plus que l’Union européenne. Il faut y voir une forme de solidarité entre pays en voie de développement. Comme avec la Chine.

C’est oublier qu’ils viennent en Afrique pour s’assurer un accès aux matières premières et à l’énergie

Pas chez nous, on n’en a pas.

Le Sénégal ne paye-t-il pas la privatisation, que vous avez encouragée, de ses filières agricoles ?

A la fin des années 70, la Banque mondiale nous a poussés à privatiser nos 250 sociétés d’Etat de la filière de l’arachide qui étaient toutes en situation de quasi-faillite. Quand je suis arrivé au pouvoir, il n’en restait plus que deux que j’ai privatisées. Je l’assume : nous avons pendant trop longtemps subventionné l’arachide. C’était devenu un vrai gouffre.

Vous avez accusé d’inefficacité la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) dans sa gestion de la crise actuelle. N’est-ce pas une façon habile de se dédouaner ?

Il faut dire la vérité : la FAO est un problème. Il y a une dizaine d’années, entre 70 et 80 % du budget de la FAO était avalé par des dépenses de fonctionnement contre seulement un peu plus de 20 % dévolues à des actions sur le terrain. Et aujourd’hui les choses n’ont quasiment pas bougé. La FAO finance des experts, principalement européens, qui n’apportent pas grand-chose à nos pays. Et ce qui me désespère, c’est que tout cela est comptabilisé dans l’aide pour l’Afrique. La réalité, c’est que l’aide pour notre continent fait vivre beaucoup de monde, mais pas beaucoup d’Africains. Il nous reste un mois et demi avant la période d’hivernage pour planter. Le Sénégal a un gros besoin de semences. Mais si j’attends l’aide de la FAO, rien n’arrivera à temps. Et on aura perdu un an de récolte. C’est pour cela que j’ai lancé un appel à crédits au secteur privé français.

Etes-vous favorable à l’utilisation des OGM ?

Je viens de donner l’autorisation de la culture de coton OGM. Pour le maïs, on se pose encore la question. Je ne suis pas contre. Les Etats-Unis en mangent depuis longtemps. Or le Sénégal n’est pas le gardien de la santé du monde…

(1) Une vie pour l’Afrique, entretiens avec Jean-Marc Kalflèche et Gilles Delafon, éd. Michel Lafon



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