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Politique

MAITRE MBAYE JACQUES NDIAYE AVOCAT DE L’ETAT DU SENEGAL : «Idrissa Seck est encore dans les liens de la prévention. Sa candidature est irrecevable !!»

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MAITRE MBAYE JACQUES NDIAYE AVOCAT DE L’ETAT DU SENEGAL : «Idrissa Seck est encore dans les liens de la prévention. Sa candidature est irrecevable !!»

Cette interview a déjà été publiée ici même, dans notre édition du 6 avril dernier. Mais sa rediffusion s’impose. Actualité oblige. Surtout au moment où en France, les Emmanueli, Alain Juppé, Charles Pasqua, Bernard Tapie, Michel Roussin et tant d’autres hommes politiques de l’Hexagone ont purgé ou continuent de purger leur exclusion de la scène politique pour avoir été mis en examen pour divers délits. Mais au Sénégal, Idrissa Seck se croit au-dessus des lois et œuvre maladroitement pour échapper à la logique de la justice. Heureusement que les hommes de  droit  sont là pour le rappeler à l’ordre. A l’exemple de Me Mbaye Jacques Ndiaye.

Le Sénégal est devenu le pays des débats stériles et des procès d’intention gratuite à l’endroit de l’Etat et des autorités qui l’incarnent. Et c’est justement dans ce contexte qu’il faut situer le tollé inutile et à la limite hypocrite à propos d’une certaine « candidature » de l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck à la Présidentielle de 2007. En déclarant de manière théâtrale sa candidature à cette élection réservée à l’élite politique et en s’appuyant sur la « bonne compréhension » d’une certaine faune médiatique apparemment complice et « intéressée », Idrissa Seck ne fait que sonder les cœurs et les esprits, pour trouver une « faille » qui mettrait la Justice devant le fait accompli. Mais c’était aussi sans compter avec les mémoires qui n’ont pas encore défailli. Le « cas Idy » est trop récent pour qu’on en oublie. Maître Mbaye Jacques Ndiaye, un des avocats de l’Etat du Sénégal exhume ici, l’affaire Idrissa Seck et remet les pendules à l’heure. « La candidature de Idrissa Seck est irrecevable », révèle-t-il, pour mettre fin à ce débat nul et inutile. Et pour cause… Idy est encore dans les liens de la prévention !

Entretien avec ce jeune avocat lucide qui nous révélait ici même, il y a huit mois, que malgré l’euphorie générale de l’époque, il était inutile de créer la Haute Cour de Justice pour juger Idrissa Seck. Parce que, disait-il, il y a d’autres instances ordinaires pour le juger et le condamner au besoin. L’histoire lui avait donné raison…

Il est midi : Maître Mbaye-Jacques Ndiaye, vous êtes l’un des Avocats constitués par l’Etat sénégalais dans l’affaire Idrissa Seck. Où en êtes-vous avec cette procédure ?

Maître Mbaye-Jacques Ndiaye : C’est exact. Je suis l’un des Avocats constitués par l’Etat dans le dossier concernant Monsieur Idrissa Seck. Et ce dossier, il faut le préciser, concerne plusieurs procédures dont une partie a été réglée par les juridictions compétentes et, elle concerne également d’autres personnes, il n’y a pas que Monsieur Idrissa Seck.

Est-ce que vous pouvez revenir sur toutes ces procédures ?

Il y a en deux, précisément. D’abord, il y avait la procédure concernant le délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat dans laquelle, Monsieur Seck était poursuivi en même temps que les époux Farès, Mbaye Coulibaly, Coumba Ngouye Thiam etc… Cette procédure qui était confiée à Madame le Doyen des Juges d’Instruction Près le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar a connu une issue heureuse car, tous les inculpés ont bénéficié d’un non lieu. Et à ma connaissance, aucune des parties n’a interjeté appel, ni le Parquet, ni les inculpés.

Seulement, c’est en cours de procédure que Monsieur Idrissa Seck et l’un de ses Conseils Maître Djiby Diallo ont été inculpés pour le délit de sorties irrégulières de correspondances et complicité. Ensuite, il y a la procédure qui est pendante devant la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice, communément appelée l’affaire des chantiers de Thiès. Et il y a lieu d’indiquer que cette procédure est aussi confiée à Monsieur le Juge d’Instruction du 5ème Cabinet Près le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar.

Si cette procédure est scindée en deux, c’est uniquement parce que la Commission d’Instruction ne peut instruire que pour Monsieur Idrissa Seck à raison de sa qualité de Premier Ministre au moment de la commission des faits. De la même manière, le 5ème Cabinet d’Instruction ne peut instruire que pour des inculpés qui n’ont pas la qualité de Ministre au moment de la commission des faits.

Ainsi, tout le monde s’est rendu compte que l’enquête ouverte contre Monsieur Idrissa Seck par la Commission d’Instruction a débouché sur les fonds politiques. Ainsi, la Commission s’est déclarée incompétente sur les infractions nées de ces fonds politiques. Cependant, les infractions visées contre Monsieur Idrissa Seck dans la Résolution votée par l’Assemblée Nationale restent entières à savoir faux, usage de faux, usurpation de titre, vol, Recel, détournement de denier public, enrichissement illicite et complicité ; dissimulation et Recel de documents administratifs.

D’autres préventions ont été retenues contre les entrepreneurs dont la procédure est pendante devant le 5ème Cabinet. Il s’agit des délits de Faux, usage de Faux, Détournement ou Soustraction de Deniers Publics et Recel, manœuvres tendant à obtenir des sommes ou des avantages matériels indus, prise illégale d’intérêts et non reversement de taxes collectées.

Mais Maître, expliquez nous pourquoi autant d’infractions visées et pourquoi Monsieur Idrissa SECK n’est pas poursuivi pour les mêmes infractions qui concernent les entrepreneurs.

Il est vrai qu’en visant une panoplie d’infractions pour les mêmes faits délictueux, l’on risque de se fourvoyer dans des dédales procéduraux et même de fond car, l’une des infractions peut constituer un élément d’une autre infraction. Vous savez, Monsieur Idrissa Seck peut être poursuivi uniquement pour le délit d’enrichissement illicite, tout comme les entrepreneurs uniquement pour le délit de détournement de deniers publics et complicité. En effet, le délit d’enrichissement illicite ne peut concerner qu’un titulaire d’un mandat public ou d’une fonction gouvernementale ou d’une manière générale, un Fonctionnaire et jamais un simple particulier, à l’exception des Officiers Ministériels. En revanche, le délit de détournement de deniers publics peut concerner, et les personnes ci-dessus citées, et un simple particulier.

Q’est-ce que le délit d’enrichissement illicite ?

Maître Mbaye-Jacques Ndiaye : Il est défini à l’article 163 bis du Code Pénal issu de sa rédaction en vigueur de la Loi N° 81 53 du 10 Juillet 1981. Ce texte dispose : « Le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus (Ndlr : titulaire d’un mandat électif ou d’une fonction gouvernementale, Fonctionnaire etc…), se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux ».  Donc, la Loi retient alternativement deux éléments matériels pouvant constituer le délit : ou un patrimoine s’entend consistant, ou un train de vie, exorbitant. Ainsi, la charge de la preuve est renversée et il appartient à la personne poursuivie de rapporter la preuve de l’origine licite de ses biens ou de son train de vie et ce, après une simple mise en demeure dont la forme et le délai ne sont pas précisés par la Loi.

Pourtant, Monsieur Idrissa Seck affirme que l’on pourra chercher jusqu’à l’extinction du soleil, mais on ne trouvera rien.

C’est méconnaître que dès que l’on est poursuivi pour le délit d’enrichissement illicite, il faut que l’inculpé rapporte la preuve de l’origine licite de son patrimoine ou de son train de vie ; j’ai précisé que la charge de la preuve est renversée, tant et si bien que l’Etat se bornera simplement à lui notifier la consistance de son patrimoine, ou des dépenses qu’il aurait effectuées et pouvant renseigner sur son train de vie. Toutefois, la Loi précise que la seule preuve d’une libéralité (une donation) ne suffit pas à justifier de cette origine licite.

Pourtant, là aussi, Monsieur Idrissa Seck a affirmé que la fortune qu’il détient a une origine licite.

Il lui appartient d’en rapporter la preuve.

Est ce que les Juges peuvent, après avoir poursuivi Monsieur Idrissa Seck pour plusieurs délits ne retenir finalement que le délit d’enrichissement illicite ?

Absolument. Les Juges ont le pouvoir de qualifier, de disqualifier ou de requalifier.

Dans ce cas, quelle est la juridiction compétente pour instruire et juger Monsieur Idrissa Seck ?

Cette question est pertinente. Elle est d’autant plus pertinente que la Loi qui avait instauré la juridiction compétente pour juger les personnes poursuivies pour le délit d’enrichissement illicite a été abrogée. Et le texte qui prévoit et punit ce délit est toujours en vigueur. Or, l’on sait qu’aucun membre de Gouvernement ne peut être poursuivi devant les juridictions ordinaires mais bien devant la Commission d’Instruction. Ainsi, celle-ci peut instruire pour le délit d’enrichissement illicite et renvoyer Monsieur Idrissa Seck devant la Haute Cour de Justice pour y être jugé conformément à la Loi.

Mais Monsieur le Président de la République a estimé que la responsabilité de Monsieur Idrissa Seck est liée à celle de Monsieur Bara Tall. Or, l’enquête concernant ce dernier n’est pas encore clôturée.

Le Chef de l’Etat a eu une approche objective car, si l’on reste dans le cadre des chantiers de Thiès, il est évident que la responsabilité de Monsieur Idrissa Seck sera liée à celle de Bara Tall dont on considère qu’il est le cerveau de cette affaire. C’est logique. Mais, il reste aussi entendu que si Monsieur Idrissa Seck est tout simplement poursuivi pour le délit d’enrichissement illicite, des complices autres que Bara Tall pourront faire surface et l’origine des fonds pourra trouver sa source en dehors des chantiers de Thiès. D’ailleurs, peu importe l’origine des fonds. Ce qui est important et que doit prouver Monsieur Idrissa Seck, c’est leur origine licite.

Monsieur Idrissa Seck vient de déclarer sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Une telle candidature est-elle recevable ?

L’article 28 de la Constitution règle les critères d’éligibilité : Etre de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de trente cinq ans au moins le jour du scrutin, savoir lire et parler couramment la langue officielle. En l’état, Monsieur Idrissa Seck est encore dans les liens de la prévention. Ainsi, à mon avis, il ne remplit pas les conditions légales, faute de ne jouir de ses droits politiques en substance. Comment peut-on être candidat à une élection présidentielle alors que des enquêtes pénales sont en cours ? Jouir de ses droits civils et politiques, c’est aussi présenter une certaine moralité. Il faut que Monsieur Idrissa Seck attende d’être blanchi par une décision de justice passée en force de chose jugée irrévocable pour pouvoir se présenter aux prochaines échéances électorales. Sa candidature est irrecevable.

Maître, nous allons terminer avec cette question qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive : « L’Etat peut-il vraiment constituer des Avocats ? »

Tout d’abord, il échet de préciser que l’Etat, en tant que personne morale de Droit public, doté d’une personnalité juridique est ainsi capable d’ester en justice et peut aussi être attrait devant les juridictions. L’on sait qu’une personne morale (de droit public ou de droit privé), ne peut agir en règle générale que par l’organe de son représentant légal et elle ne peut être attraite que prise en la personne de ce représentant légal. Les personnes morales de droit privé le sont par l’organe de leurs Directeurs, Gérants ou Présidents. En revanche, pour ce qui est de l’Etat, s’il est vrai que son représentant légal, c’est le Chef de l’Etat, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut agir en justice ou y être attrait qu’en la personne de l’Agent Judiciaire, Magistrat, et ce, pour des raisons de commodités car, il serait inacceptable que le Chef de l’Etat soit assigné devant les juridictions ordinaires pour les contentieux qui concernent, de façon générale, le fonctionnement du service public.

Ainsi, l’Agent Judiciaire de l’Etat n’est pas à proprement parler « l’Avocat » de l’Etat, mais plutôt ce que serait un représentant d’une Société pour agir en justice par le biais d’un mandat ad litem, c'est-à-dire un pouvoir spécial pour représenter la Société devant les juridictions. Dans tous les cas, les services de l’Avocat, légalement obligatoires pour les personnes morales qui veulent agir en justice, sont requis aux fins d’un bon déroulement du procès. Ensuite et surtout, dire que l’Etat ne peut pas constituer des Avocats est une allégation ayant pour effet de rendre compte de la méconnaissance des droits de l’Avocat tels que prévus dans le Règlement intérieur du Barreau, en son article 8 issu de l’Arrêté N° 017-84-CO, en vigueur, qui prescrit :  « L’Avocat peut exercer son ministère devant toutes les juridictions et tous les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sauf les prohibitions édictées par la loi. L’Avocat assiste son client au cours des mesures d’instructions prescrites ou ordonnées en toutes matières, notamment en matière civile, commerciale, pénale, sociale, administrative, économique ou disciplinaire. »

Or, nulle part dans la loi portant organisation de la Haute Cour de Justice, il n’est mentionné qu’il est prohibé à l’Avocat de se constituer. Il y est simplement indiqué que la constitution de partie civile est irrecevable. Il faut souligner que la constitution de Partie Civile n’est pas nécessairement la constitution d’Avocat. Car, combien y a t il de justiciables qui se constituent Partie Civile sans Avocat ? La constitution de Partie Civile est une action tendant à demander réparation d’un préjudice subi par le plaignant. Le propre de l’Avocat, ce n’est pas seulement de réclamer des dommages et intérêts. La loi permet aux Avocats des activités judicaires qui leur sont propres et qui sont au nombre de trois : la postulation pour autrui, la représentation des parties et l’assistance, notamment par la plaidoirie.

Cette dernière activité présente un intérêt capital : l’assistance. Personne ne peut contester que l’Avocat est souvent sollicité dans de nombreuses affaires : choix d’un régime matrimonial, achat ou vente d’un immeuble, constitution de sociétés, rédaction d’actes etc… Pour ce qui est de la plaidoirie, il y a lieu d’indiquer qu’elle n’est pas synonyme de constitution de Partie Civile. Il existe un principe fondamental en Droit processuel : le contradictoire. Pour être équitable, un procès doit être nécessairement contradictoire. Dès lors, rien ne doit empêcher à l’Etat d’être représenté au procès en vue d’asseoir le ou les délits visés. Le Ministère Public (le Procureur) n’est pas l’ « Avocat » de l’Etat, il est l’ « Avocat » de la société qui est une entité abstraite ayant pour seule raison : l’ordre public. La Société n’agit guère, mais plutôt l’Etat, en tant que personne morale.

Mieux, le parquet peut parfaitement requérir dans un sens contraire à celui des arguments de l’Etat, celui là même qui poursuit en se constituant Partie Civile, ce qui n’est permis à la Société représentée par le Parquet qui veille à l’ordre public. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Sénateur Français J. J. HYEST avait proposé d’ajouter à l’article 13 de la Loi Organique du 23 Novembre 1993 sur la Cour de Justice de la République Française ce qui suit : « L’action publique ne peut être mise en mouvement par voie de constitution de partie civile. La personne qui se prétend victime peut toutefois intervenir, mais seulement pour corroborer l’action publique lorsque celle-ci est engagée ».

Donc, même si la Loi Organique interdit formellement la constitution de Partie Civile, la jurisprudence peut, au regard de ce qui précède, tolérer les plaidoiries devant la Haute Cour de Justice étant entendu que même un particulier victime peut faire comparaître un Ministre qui aurait commis une infraction dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, laquelle infraction aurait causé un dommage audit justiciable, si l’on reste dans la droite ligne de la tendance doctrinale.



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