Aliou Diaw, ancien agent d'exécution au Tribunal de Dakar, témoin des événements de 1958 « Les Mbaye Jacques Diop ont été recrutés pour étouffer le mouvement des porteurs de pancartes »

Il a revêtu, hier, l’habit d’un révolté, son costume d’antan. Celui d’un témoin de l’arrivée du Général De Gaulle à la place Protêt à Dakar, le 26 août 1958. Il est aussi prêt à lever un coin du voile sur les évènements survenu à cette occasion. Aliou Diaw a bien une autre version sur les porteurs de pancartes. Rétablir la vérité. Une façon, donc, pour lui d’envoyer paître ceux qui se considèrent aujourd’hui comme les vrais «Porteur de pancartes». Parmi ceux-là, il cite Mbaye Jacques Diop. Pour l’ancien agent d’exécution au Tribunal régional de Dakar, l’ancien maire de Rufisque, n’a jamais était «Porteur de pancartes».

M. Diaw, est-ce que vous pouvez vous présenter à nos lecteurs ?
«Je m’appelle Aliou Diaw et je suis né il y a 70 ans à Dakar. Je suis apolitique et sportif membre du Jaaraf de Dakar. J’ai anticipé ma retraite, je l’ai prise en 1998. J’étais avant ma retraite agent d’exécution au Tribunal de Dakar et j’exécutais les décisions du Tribunal. Mais, en réalité, c’est le Président Kéba Mbaye, qui m’avait emmené au Tribunal de Dakar. En ce moment, il était directeur de cabinet de Boubacar Guèye, ministre de la Justice d’alors. Il n’était pas encore venu au Tribunal, il m’a trouvé là-bas. J’étais en quelque sorte son anti-chambre.
Vous êtes témoin des évènements du 26 août 1958 avec les «Porteurs de pancartes» ?
Oui, j’étais là en tant que jeune.
Que retenez-vous de ces évènements ?
Beaucoup de choses. (Il respire fortement et reprend). Ce qui m’énerve dans tout cela, ce sont les déclarations de Mbaye Jacques disant qu’il faisait partie des acteurs des évènements du 26 août 1958.
Donc, vous remettez en cause ses déclarations ?
Oui, parce que nous jeunes de Dakar, nous avons vécu ces évènements et ce qu’il est en train de dire ne correspond pas à la réalité. Dans la presse, il déclare que c’est grâce aux «Porteurs de pancartes» que l’indépendance du Sénégal s’est déclenchée. C’est totalement faux. Avant 1958, il y avait des jeunes qui se sont manifestés contre les colonialistes et c’étaient les Majmouth Diop, les Madia Diop. Aujourd’hui, ce sont eux qui devraient revendiquer le 50e anniversaire des «Porteurs de pancartes». Nous avons été les cadets de Madia Diop et nous étions âgés entre 16 et 17 ans, nous avions fait le tour de Dakar et de Rufisque et, Mbaye Jacques Diop, lui, ne sortait même pas. Nous avons fait des représentations théâtrales pour sensibiliser les gens.
De 1956 à 1958, nous avons accompagné Madia Diop. Mbaye Jacques était, en ce moment, sous l’aile des ténors de l’Ups. Il était avec les Alioune Badara Mbengue, les Racine Ndiaye, les Samba Guèye, en quelque sorte avec la jeunesse nantie de l’Ups, qui ne voulait pas se battre. Et aujourd’hui, il dit qu’ils étaient les «Porteurs de pancartes», ce n’est pas vrai.
Les vrais «Porteurs de pancartes» ont été bloqués à la périphérie de la place Protêt. On leur avait dit qu’ils ne passeront pas. Les vrais «Porteurs de pancartes» réclamaient l’indépendance du Sénégal. Les Mbaye Jacques Diop ont été recrutés pour étouffer le mouvement des porteurs. C’est comme ça que ça s’est passé.
Donc, Mbaye Jacques Diop ne faisait pas partie des «Porteurs de pancartes» ?
Non. Il était utilisé pour contrer les autres. Ils (Mbaye Jacques et compagnie) ont empêché les porteurs d’accéder à la place Protêt. Les jeunes, qui se battaient pour obtenir l’indépendance, ont été écartés. Mbaye Jacques Diop et compagnie portaient autre chose que des pancartes.
Ceux qui se sont battus ont été bastonnés. Et, il s’agit de Madia Diop et feu Majmouth Diop. A chaque fois que j’entends Mbaye Jacques Diop et consorts dire qu’ils faisaient partie des porteurs de pancartes qui ont poussé la France à nous donner l’indépendance, ça me révolte. Ce sont des imposteurs. C’est à Madia Diop qui était là à Dakar qu’on doit tout cela.
Au moment où on se battait, Mbaye Jacques n’était nulle part. Il a attendu, juste après 2000, pour se manifester et occuper les devants de la scène. Tout cela, pour épater Abdoulaye Wade, qui n’était pas au courant de tout ça.
En parlant de Me Abdoulaye Wade, où est-ce qu’il était en ce moment ?
Lui, c’était un toubab. Il a toujours été un toubab. Il aimait plutôt parler aux Français qu’aux Africains. Il était très ami aux avocats français. Il était, tout le temps, avec les blancs.
Donc, c’est pour cela qu’il a épousé une Française ?
Je ne peux pas le dire. Mais, je sais qu’il a toujours fréquenté les toubabs. Jusqu’en 1974, tous ses interlocuteurs étaient des blancs. Et, il ne parlait qu’à ceux-là.
A quelle formation politique appartenaient les «Porteurs de pancartes» qui s’agitent actuellement ?
Ils appartenaient à l’Ups qui aspirait à remplacer les Français qui étaient là. Ils ont fait du show pour s’approprier la bataille de Madia Diop et de Majmouth Diop. En tout cas, il faut que Mbaye Jacques Diop arrête sa comédie. Il ne faut pas qu’il confisque ce que Madia Diop, Majmouth Diop, Abdoulaye Diop «Cabri» et consorts ont fait. Il est en train d’en profiter. Il n’a rien fait de tout ce qu’il dit. Il se permet, à chaque anniversaire, de nous fatiguer avec ses histoires de pancartes. Il s’est toujours tiré la couverture et faisait du boucan pour obtenir quelque chose. Il faut que ça s’arrête.
La vérité, De Gaulle avant qu’il n’arrivât à la place Protêt, il était déjà sur les nerfs. Parce que les jeunes ont jeté des tracts sur son cortège et, même, dans sa voiture. Il a pu lire le contenu de ces tracts sur lesquels on réclamait l’indépendance. Il en avait marre, avant d’arriver même sur les lieux de la manifestation. C’est pourquoi il a fait cette déclaration célèbre : «Si vous voulez votre indépendance prenez-la». Alors que les gens pensaient que ce sont ces pancartes-là qui sont à l’origine de cette déclaration. C’est faux. D’ailleurs, après ces évènements, Majmouth Diop a eu à s’exiler.
Pourquoi ?
Entre 1958 et 1961, après le déplacement de la capitale de Saint-louis à Dakar, il y a eu une manifestation organisée par Majmouth Diop, qui avait occasionné une mort d’homme. On l’avait arrêté et le Tribunal avait disqualifié les faits pour lesquels il était poursuivi. Majmouth a été jugé et condamné par contumace. En ce moment, j’étais au Parquet général dans le cabinet de Isaac Foster.
Quand on a créé la Cour suprême, c’est ce même Foster qui en était devenu le premier président. C’est en ce moment précis qu’on a envoyé le dossier de M. Diop à la chambre d’accusation pour requalifier les crimes qu’il a commis. C’est alors que la chambre d’accusation a rendu une décision, décernant un mandat d’arrêt contre Majmouth Diop. J’avais saisi le télégramme pour ensuite l’envoyer à la poste. Par la suite, je suis allé voir un de mes amis pour lui sommer de dire à Majmouth Diop de quitter le pays. Il a séjourné, donc, au Mali et il a été gracié après. J’ai sauvé Majmouth, parce qu’il a été condamné par contumace. Mais, il n’a jamais su que c’est moi qui étais à l’origine de ça et personne ne le savait encore.
Au moment des faits, que faisiez-vous ?
Rien. J’étais un sportif et comme mon entraîneur était du Pai, je ne faisais que le suivre. Et, Madia (Diop) nous avait recruté pour des spectacles de théâtre.
Vous ne faisiez pas de la politique ?
Non. J’ai toujours vécu dans le monde sportif.
Vous n’avez jamais milité dans un parti politique ?
Si, au Parti socialiste, parce que c’est notre patrimoine. Je m’en suis limité là. Je n’avais pas d’ambition politique.»