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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Les agneaux du sacrifice

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Les agneaux du sacrifice

« De tous les despotismes, celui des doctrinaires
ou des inspirés de Dieu est le pire »
M. BAKOUNINE

 

Le Sénégal est, décidément, un grand pays de liberté. Chacun se fait sa propre lecture du Coran, choisit sa propre date pour la Tabaski. Ceux qui ratent cette grande fête nationale peuvent toujours se rattraper. Dieu, nous ayant sorti de la cuisse de Jupiter, l’a prévu en trois jours pour nous autres, grands polémistes. Il n’y a donc aucune raison de se crêper le chignon, si ce n’est pour l’apparition de la lune. Là aussi, dans ce petit périmètre du monde où les gens ont l’œil toujours rivé sur le nombril, une autre singularité. Certains voient la lune au ciel, pendant que d’autres ont l’oreille collée à la bouche du khalife du coin. C’est d’autant plus vrai que quand le marabout-consultant Junior a lancé son appel pour prier vendredi, il ne s’est pas adressé aux musulmans. Il s’est adressé à ceux qui croient en « Cheikh Tidiane ». Et Assane Cissé s’est adressé à ceux qui croient en Baye Niasse. Même l’imam de Moussanté, dans son petit carré, s’est fait entendre, avant de se raviser comme un enfant battu. Nos « chefs » de la Jet Set religieuse ont appris les leçons des politiciens, à force de les fréquenter. Ils peuvent dire une chose aujourd’hui, le contraire le lendemain, sans la moindre gêne.
Nous sommes le seul pays au monde à continuer à voir une lune de deux jours, de trois jours, d’une demi-journée, comme si une lune n’est pas une lune. Nos chefs religieux se comportent comme s’ils étaient restés attachés au moyen âge. Un témoin qui voyait la lune à Kédougou pouvait mettre une semaine pour arriver dans la concession de son guide religieux, et lui dire « en effet, j’ai vu la lune ». Et quand même la lune apparaît aux yeux de tous, vous en verrez certains parmi nos infatigables pratiquants qui vont vous dire « ah mais mon marabout ne m’a encore rien dit ». Comprenez bien, cet ordre divinatoire est la main par laquelle le marabout tient le fidèle par le collet, quand l’autre est bien enfouie dans sa poche. Si tous ces gens pouvaient voir la lune de leurs propres yeux, prier sans attendre l’ordre de leur marabout, l’ordre clérical serait inutile, et disparaitrait de lui-même.
Notre pays, disons-le, est bien singulier. Nous sommes musulmans depuis le 7ème siècle. Nous sommes, de tous les pays d’Afrique, celui qui compte le plus d’érudits au mètre carré. Mais c’est aussi ce qui fait notre malédiction. Chacun se croit dépositaire de la volonté divine, et croit agir au nom d’Allah, à l’exclusion de tous les autres. Les musulmans ne retrouvent leur unité que pour fêter Noel ou Pacques avec les chrétiens. Nous ne demandons pas à la chrétienté si Jésus Christ est bien né un 24 décembre à minuit, pour fêter Noel. Quand vient l’Assomption, Saint-Louis, terre des « deux rakas », se transforme en lieu de villégiature et de débauche. Cette réalité procède de notre triple héritage que nous assumons bien. Animistes le mercredi, musulmans le vendredi, Chrétiens le dimanche. Nous aimons le Coran et les amulettes.
A la grande mosquée, nous avons d’ailleurs toujours accueilli catholiques comme animistes. C’est là qu’un certain Moustapha Lô, envoyé par un chef religieux bien connu, a tenté d’enlever la vie au président Senghor. Nous venons d’apprendre qu’à Gouye Mouride aussi priait un franc-maçon. Nous devons cette vérité, que tout le monde murmurait depuis quelques années, à une femme, elle-même amie du chef de la plupart des maçons d’Afrique, Denis Sassou Nguesso. Marie Mbengue a fait mal par la précision des informations qu’elle donne, par le fait aussi qu’elle est la nièce de Wade. Ca lui donne une crédibilité que personne à sa place ne pouvait avoir. La présidence craint désormais que les arabes prennent au sérieux les révélations de cette dame, mènent des enquêtes et boudent le sommet de l’Oci. Les coups de Marie Mbengue ont porté. On a beau avoir une grande aptitude à la douleur, ce qu’il faut reconnaître à Wade, ces déclarations font mal.
Mais le président de la République devait savoir à quoi s’en tenir. Il a été l’artisan de sa propre déchéance. Depuis trois ans, cette femme, témoin des premiers instants qui ont suivi l’assassinat de Me Babacar Sèye, multiplie les allusions de connivence et les mises en garde. Le « bâtisseur » constructeur de mosquées est en fait un maçon sans envergure qui lève le coude à ses heures perdues. Wade est très affecté par la sortie de Marie Mbengue ! Ses collaborateurs pensent que cette dame, l’une des rares à partager le petit déjeuner du temps des « conversations matinales » du Point-E, est à l’origine de sa rechute et de son depart précipité pour la France.

Le président de la République avait l’habitude de se rendre en France pour de bonnes raisons. Même s’il disparaissait quelques jours, c’était après avoir reçu un prix, ou après un passage à la télévision. Le mois dernier, il s’y est rendu deux fois, pour aller voir son médecin, rue de Lévis, dans le 17ème. Celle qui faisait le tour du monde pour lui « acheter des prix » ne peut plus se déplacer. Wade se rend maintenant à Paris pour rien, ou du moins, pour des raisons totalement inconnues. Il a anticipé son voyage d’un jour, le thorax complètement incliné vers le bas, devant une soldatesque qui voit son président prendre l’avion en se demandant désormais « mais est-ce qu’il pourra revenir ». Ceux qui ne comprennent pas l’arrêt des hostilités contre Mbaye Jacques Diop et Macky Sall peuvent trouver là une bonne raison. La bête politique n’est plus en condition de se battre. Un malheur ne venant jamais seul, la grande prière tombe cette année, inexorablement, un vendredi. Il y a deux ans, il a fait le coup à ses condisciples de Gouye Mouride, en allant prier chez l’imam Abubakeur de la grande mosquée de Paris.
Que notre président de la République soit un franc-maçon ne fait aucun mal, entendons-nous bien. Le problème avec Wade, c’est le décalage entre ce qu’il est et ce qu’il dit être. Ce pays a élu le premier député noir à l’Assemblée nationale française. C’était un franc-maçon avoué. Il a élu son premier président de la République. C’était un catholique pratiquant. Senghor a passé 20 années au pouvoir, avec la complicité et le soutien des chefs religieux. Le Sénégal confrérique est né de l’ordre ancien perpétué par Senghor, contre lequel justement, un musulman, Mamadou Dia, a voulu se battre. Aucun des témoignages faits cette semaine ne rend compte du drame que cet homme a vécu, du fait justement de la distance qu’il a voulu prendre avec l’islam confrérique, et de l’orthodoxie qu’il a voulu instaurer dans la gestion du pays. Nous oublions trop souvent que des familles ont été déchirées, des responsables de l’Etat condamnés à la déportation perpétuelle dans des camps de fortification à Kédougou. Un ami me rappelait le cas d’un homme rarement cité, Ndiogou Wack Bâ, qui a vendu sa maison de Fann résidence, pour payer des frais d’honoraire à l’avocat Abdoulaye Wade. Dès qu’il a touché les 600 000 francs, en  plus des fortes sommes qu’il a soutirées à Valdiodio Ndiaye et à Dia, Wade a disparu, pour ne plus réapparaître. Il avait pourtant demandé la permission à Serigne Falilou Mbacké et à Senghor, pour plaider en faveur des « putschistes » !
Nous devons des excuses, et une fière chandelle à Mamadou Dia. Nous oublions trop souvent le lourd tribut qu’il a payé pour son engagement nationaliste. Cet homme a signé de sa propre main, la déclaration d’indépendance du Sénégal. N’eut été son courage et son engagement, nous serions aujourd’hui un vassal de la grande fédération du Mali. Il n’est même pas invité aux festivités d’une indépendance dont il pourrait réclamer la paternité, alors que la France, contre laquelle il a agi pour l’indépendance du Sénégal, l’invite tous les 14 juillet. Il accueilli et hébergé Abdou Diouf chez lui, quand l’ancien président est sorti de l’Enfom en 1960, il n’a rien fait pour lui en 20 ans de présidence. Il a été le premier à nouer une alliance avec Abdoulaye Wade, en 1978, et l’a soutenu à la présidentielle de 2000. L’actuel président de la République n’a rien fait pour lui. A bientôt 99 ans, aveugle, l’ancien président du Conseil ne bénéficie d’aucun soutien, ni d’aucune assistance de l’Etat. Le 17 décembre, des chefs religieux ont soutenu Senghor le chrétien dans cette entreprise injuste, pour le maintien d’un ordre qui leur assurait leur subsistance. Les rares appels à la clémence sont venus de l’archevêque Hyacinthe Thiamdoum et du Pape Jean XXIII.



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