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[ Contribution ] Quelques précisions sur la condition pénale des membres du gouvernement

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[ Contribution ] Quelques précisions sur la condition pénale des membres du gouvernement
Lorsqu’à la suite de la commission d’une infraction pénale, un membre du Gouvernement est concerné par la procédure judiciaire ouverte, deux hypothèses bien différentes doivent être envisagées. Dans la première, le Ministre concerné est seulement appelé à comparaître comme témoin, alors que dans la seconde, il est soupçonné d’être personnellement impliqué dans la commission de l’infraction, soit comme auteur, soit en qualité de complice. Il faut alors rapidement évacuer la situation du Ministre, témoin, avant d’évoquer plus longuement l’hypothèse plus complexe du Ministre, acteur de l’infraction pénale.

1. Le Ministre, témoin de l’infraction pénale.

Dans l’hypothèse où un Ministre doit être entendu comme témoin, l’autorisation du président de la République est en principe requise. En effet, l’article 639 du Code de Procédure pénale (CPP) dispose que ‘Les ministres et secrétaires d’Etat ne peuvent comparaître comme témoin qu’après autorisation donnée par décret sur le rapport du Garde des Sceaux, ministre de la Justice’. Et lorsque la comparution a lieu en vertu de ladite autorisation, la déposition est alors reçue dans les formes ordinaires (article 640 du CPP). Sur ce point donc, le Procureur de la République ne peut effectivement entendre à titre de témoin, un ministre en fonction, sans autorisation préalable du président de la République. Encore qu’il convienne de préciser que l’article 641 ajoute que ‘Lorsque la comparution n’a pas été demandée ou n’a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit dans la demeure du témoin par le Premier Président de la Cour d’appel ou par le magistrat qu’il aura délégué’. Il faut maintenant examiner la situation plus complexe, celle-là, du ministre impliqué dans la réalisation de l’infraction.

2. Le Ministre, acteur de l’infraction pénale.

Il peut arriver qu’un ministre soit personnellement impliqué dans la commission d’une infraction, soit comme auteur principal, soit comme complice. Dans tous les cas, il n’est couvert par aucune immunité liée à sa fonction gouvernementale ; le seul problème étant de déterminer la juridiction dont-il doit relever.

A cet égard, il résulte de l’article 101 alinéa 2 de la Constitution que ‘Le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice’. Cette juridiction est composée de membres élus par l’Assemblée nationale en son sein et est présidée par un magistrat. Les députés élus pour y siéger sont au nombre de seize, dont huit titulaires et huit suppléants. Sa saisine est conditionnée par une résolution de mise en accusation, votée par l’Assemblée nationale statuant à la majorité des trois cinquièmes des membres la composant.

C’est le lieu d’ouvrir une parenthèse importante, pour déterminer la base de calcul de cette majorité. L’on se rappelle en effet, qu’à l’occasion du vote de la résolution de mise en accusation de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck et du ministre Salif Bâ, la question avait été fortement agitée de savoir s’il fallait retenir comme base de calcul le nombre de députés composant l’Assemblée nationale, soit cent vingt, auquel cas, la majorité requise serait de soixante-douze voix, ou fallait-il au contraire exclure de la base de calcul les seize députés élus pour siéger à la Haute Cour et qui ne peuvent prendre part au vote de la résolution de mise en accusation, auquel cas, soixante-trois voix suffiraient. Pour rappel, cette résolution avait recueilli soixante-neuf voix.

Pour trancher le débat, il paraît de bonne méthode de commencer par expliquer la raison pour laquelle les députés élus pour siéger à la Haute Cour de Justice ne peuvent participer au vote de la résolution de mise en accusation. Leur exclusion se justifie par un principe général de droit pénal ayant valeur constitutionnelle, le principe de la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Il en résulte a fortiori que celui qui doit juger ne peut, en aucune façon, être l’accusateur, car cela reviendrait tout simplement à être à la fois juge et partie.

Pour alors déterminer la base de calcul de la majorité requise, objet de la controverse, la logique juridique enseigne que lorsqu’une disposition, de quelque nature – constitutionnelle, législative, réglementaire ou même contractuelle – qu’elle soit, est susceptible d’interprétations divergentes, il faut toujours retenir l’interprétation qui permet à la disposition concernée, de produire en toutes hypothèses, son effet normal. L’effet normal de l’article 101 de la Constitution est de rendre possible la mise en accusation du président de la République en cas de haute trahison ou des membres du Gouvernement en cas de crime ou délit commis dans l’exercice de leurs fonctions. Or, si l’on retient comme base de calcul de la majorité requise le nombre de députés composant l’Assemblée Nationale, la mise en accusation devient impossible dans certaines hypothèses. Ainsi, la loi organique relative à la Haute Cour de Justice, qui fixe le nombre de députés élus pour y siéger à seize, aurait pu élever ce nombre à cinquante, de sorte qu’il ne resterait plus que soixante-dix députés pour voter la résolution ; la mise en accusation devenant alors impossible et l’article 101 privé de son effet normal. Pareillement, l’article 101 qui exige une majorité des trois cinquièmes, aurait parfaitement pu requérir l’unanimité ; la mise en accusation devenant là aussi impossible et l’article 101 encore privé de son effet normal. En conséquence, l’interprétation qu’il faut retenir, qui rend possible, en toutes hypothèses, la mise en accusation est celle qui ne compte pas dans la base de calcul les députés élus pour siéger à la Haute Cour de Justice. Donc, en l’état actuel, la majorité des trois cinquièmes requise pour le vote de la résolution de mise en accusation, correspond bien à soixante-trois voix. C’est cela qui est conforme au bon sens et c’est surtout cela que commande la logique juridique. Que le débat qui s’était alors posé sur cette question, ne puisse pas aujourd’hui resurgir.

La parenthèse – longue, il est vrai, mais néanmoins utile – fermée, il faut maintenant revenir à la question cruciale de la détermination de la juridiction dont doit relever le membre du Gouvernement, auquel il est reproché d’avoir participé à la commission d’une infraction pénale, soit comme auteur, soit comme complice.

A cet égard, l’article 101 de la Constitution est sans équivoque et ne laisse place à aucune discussion. Le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement ne sont jugés par la Haute Cour de Justice que dans le cas où leurs actes, qualifiés crimes ou délits, ont été accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Par conséquent, lorsque leurs actes, pénalement répréhensibles, ont été commis en dehors de l’exercice normal de leurs fonctions gouvernementales, ils doivent relever des juridictions ordinaires, suivant les procédures ordinaires.

Il faut d’ailleurs bien faire observer, que la référence à la notion d’infraction flagrante, suggérée par certains, pour fonder la compétence éventuelle des juridictions ordinaires, est tout à fait erronée. En effet, l’infraction reprochée au ministre, fut-elle flagrante, devra relever de la seule compétence de la Haute Cour de Justice, si elle a été commise dans l’exercice de ses fonctions. Inversement, l’infraction non flagrante mais étrangère à l’exercice de ses fonctions, ressortira elle, à la compétence des juridictions ordinaires. En conséquence, seul le lien entre l’infraction et la fonction ministérielle doit permettre de déterminer la juridiction compétente pour en connaître.

Certes, il va alors falloir définir un critère suffisamment précis pour déterminer ce qui relève de l’exercice des fonctions et ce qui se situe en dehors. Mais il ne s’agit là que d’une question technique à laquelle il est possible d’apporter, sans difficulté particulière, une réponse satisfaisante, en s’inspirant utilement de la classique distinction, fort éprouvée en Droit administratif, entre la faute de service et la faute personnelle. L’acte accompli dans l’exercice des fonctions serait alors l’acte qui a été rendu possible ou au moins, qui a été facilité par la fonction gouvernementale. Il en serait ainsi, par exemple, d’un détournement de deniers publics ou d’une concussion. Au contraire, l’acte commis en dehors de l’exercice des fonctions serait celui qui, précisément, n’a aucun lien avec la fonction gouvernementale occupée ; ainsi, par exemple d’un homicide involontaire consécutif à un accident de la circulation dans lequel est impliqué le véhicule personnel d’un ministre en villégiature. Du reste, l’acte aurait-il un lien avec la fonction exercée – en raison du lieu ou du moment de sa commission ou encore, des moyens utilisés – qu’il peut rester une faute personnelle, en application de la théorie bien connue, des actes détachables.

En tout état de cause, la discussion peut bien être soulevée. Mais, l’essentiel demeure, que le principe soit ferme que l’infraction commise par un membre du Gouvernement n’est justiciable de la Haute Cour de Justice que dans le cas où elle a été commise dans l’exercice normal de ses fonctions.

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