Samedi 27 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Economie

Aliou DIA, (Député) : "La campagne arachidière ne peut plus être sauvée"

Single Post
Aliou DIA, (Député) : "La campagne arachidière ne peut plus être sauvée"
Le président des Forces paysannes ne croit plus à la réussite de la campagne de commercialisation de l'arachide. La situation est d'autant plus critique que, selon Aliou Dia, cinq cents camions chargés de graines d'arachides sont bloqués depuis près d'une semaine aux portes de la Sonacos. Préoccupé par la menace de disparition de la filière arachidière, le député non élu sonne l'alerte.

Wal Fadjri : Des camions transportant les graines sont bloqués devant les portes de la Sonacos depuis bientôt une semaine. Comment vivez-vous cette situation ?

Aliou Dia : Permettez-moi d'abord de regretter le déroulement de la campagne de commercialisation de l'arachide. Cette campagne, je l'avais dit avant qu'elle ne commence, a été mal préparée. Les dispositions permettant de pouvoir faire une belle campagne n'étaient pas prises. A l'époque, certains m'avaient compris, d'autres non. Mais les résultats m'ont déjà donné raison. Cette campagne devient de plus en plus difficile compte tenu de la situation que vit la Sonacos. Depuis jeudi (le 9 mars dernier, Ndlr), aucun service de réception ne fonctionne dans les usines de la Sonacos. Les transporteurs sont dans le désarroi. Ils ont envoyé des camions remplis d'arachide au niveau de ces usines. Ces camions sont restés plus de 20 jours sans pouvoir décharger, avec ce que cela suppose comme charge financière. Ne serait-ce que pour un camion, vous faites nourrir le chauffeur plus ses deux apprentis. Chacun d'eux vous coûte 2 000 francs, ça vous prend 6 000 francs par jour. Au bout de 20 jours, cela fait 120 000 francs.

Wal Fadjri : Combien sont-ils, ces camions ?

Aliou Dia : Nous pouvons parler plus de 500 camions. Et cela pose un problème pour les transporteurs. C'est également le même problème pour les opérateurs qui ont stocké pendant plus de deux mois des graines d'arachide au niveau des points de collecte. Ces graines sont envoyées dans les usines où elles ont fait maintenant 20 jours sans être débarquées. Ce qui fait qu'aujourd'hui, ils (les camions) menacent même de retourner l'arachide au niveau des points de collecte. Ce sont de grandes pertes que personne ne peut énumérer.

Wal Fadjri : Malgré tout, la campagne peut-elle être sauvée ?

Aliou Dia : Cette campagne, nous l'avons déjà ratée. Ce qu'il faut maintenant sauver, c'est la campagne agricole. Vous savez que le 18 avril 2005, le Premier ministre avait réuni l'ensemble des acteurs de la filière pour préparer la campagne agricole. Nous disions à l'époque que c'était trop tard parce qu'une campagne, on doit la préparer au moins au mois de février-mars pour donner les semences au mois de mai afin de les traiter et bien les garder. En fin mai, certaines parties du pays commencent à avoir de la pluie. En juin, presque tout le territoire est arrosé. Si on attend en avril pour faire des réunions de préparation, pour demander à la Sonacos de préparer les semences, celles-ci ne seront données aux paysans qu'en juin-juillet alors qu'il a déjà plu. C'est donc la campagne agricole 2006-2007 qu'il faut maintenant sauver. Si la Sonacos continue dans cette situation, il n'y aura pas de semences. Et sans la Sonacos, aucune autre structure ne dispose de graines pouvant servir de semences. Si l'on n'y prend pas garde, nous risquons d'arriver jusqu'au mois de juin sans trouver de graines. Et c'est la mort de la filière arachidière.

Wal Fadjri : Pourtant la grève des travailleurs de la Sonacos est à l'origine de cette situation désastreuse...

Aliou Dia : Mais cette grève est légitime. Les Forces paysannes jouent l'intermédiaire entre les travailleurs de la Sonacos et les paysans parce qu'il ne faudrait pas que la Sonacos oublie que son premier partenaire, c'est le paysan. Cependant, quand l'existence de la Sonacos est menacée, quand les emplois des travailleurs sont menacés, il faut qu'ils fassent recours à la grève qui est tout à fait normale. Cependant, les Forces paysannes invitent l'Etat à jouer sa mission d'arbitre pour pouvoir trouver la solution qui sauve la campagne et la Sonacos.

Wal Fadjri : Pourquoi défendez-vous si fermement la Sonacos ?

Aliou Dia : Parce que la Sonacos est d'un grand apport à la filière arachidière. Sans la Sonacos, après la liquidation de la Sonagraine, la filière arachidière aurait disparu parce que l'Etat n'avait pas de graine pour les semences. C'est la Sonacos qui était obligée, à partir de ses stocks déjà constitués, de donner des semences. En 2004-2005, la Sonacos était obligée de donner plus de 35 mille tonnes de ses stocks. Elle avait même prédit qu'elle va faire des pertes de presque 1 milliard 500 millions parce que c'étaient des graines qui étaient destinées à l'huilerie. La Sonacos était obligée d'arrêter ses usines et de donner ses graines pour servir de semences aux paysans. En 2005-2006, la Sonacos a également donné 35 mille tonnes de ses stocks. C'était également une perte pour la Sonacos. Et cette année, l'Etat attend encore plus de 30 mille tonnes de semences de la Sonacos. Si cette Sonacos est menacée dans son existence, c'est la filière arachidière qui est menacée et c'est l'arachide qui est la principale culture de rente de notre pays. C'est la seule culture qui, après les récoltes, permettra d'injecter plus de 80 milliards dans le monde rural. Aucune autre filière n'a cette capacité. L'arachide est cultivée presque partout au Sénégal. Si la Sonacos qui est aujourd'hui le principal acheteur de ce produit avec les 95 % de la production arachidière et donne aussi les 75 % des semences, est menacée dans son existence, c'est la filière elle-même qui est menacée. Et si la filière disparaît, c'est le calvaire, pour ne pas dire la mort dans le monde rural. C'est grâce aussi à la Sonacos que des milliers de Sénégalais gagnent leur pain. Je pense à ceux qui travaillent dans le raffinage, dans le conditionnement, dans la réception de ces arachides, au niveau des points de collecte. La Sonacos fait travailler les transporteurs, des opérateurs. Nous pouvons donc dire que les 70 % du paysannat ne travaillent que grâce à cette Sonacos parce qu'il n'y a que cette structure digne de ce nom qui dispose de capital lui permettant de pouvoir faire le travail qu'il faut dans ce monde rural et dans la filière arachidière.

Wal Fadjri : A vous entendre parler, vous semblez n'être pas sur la même longueur d'onde que le directeur des opérations de la Banque mondiale (Bm), Madani Tall, qui demande à l'Etat de revoir la loi sur la taxation de 15 % des huiles végétales raffinées importées.

Aliou Dia : Je n'apprécie pas du tout la position de la Bm sur cette question. Il y va d'abord de la souveraineté du choix politique de l'Etat. L'État a fait voter une loi en décembre 2005 imposant une taxe de 15 % sur les huiles végétales raffinées importées. L'Assemblée nationale l'a votée. La loi a été promulguée par le chef de l'Etat. Et en moins de deux mois, l'Etat veut revenir sur cette loi parce que la Bm le lui impose. La Bm ne donne même pas d'arguments. Tout ce qu'elle avance, c'est de dire : "Revenez sur cette loi, sinon vous allez me payer mes 45 milliards". C'est un chantage. Comment un Etat sérieux peut accepter un tel chantage d'une institution comme la Bm qui a toujours proposé des politiques qui ont fait faillite à beaucoup de nos régimes et surtout le régime défunt du Parti socialiste (Ps). Rappelez-vous les politiques d'ajustement structurel. Quelle a été la position de la Bm par rapport à l'agriculture, à l'éducation et la santé. Elle nous disait que l'éducation et la santé sont des secteurs improductifs. Il ne faut pas y mettre de l'argent. Cette Bm revient dix ans après que nous avons subi le chaos, pour nous dire, désormais, mettez 40 % de votre budget à l'éducation et 10 % à la santé, deux secteurs qu'elle qualifiait d'improductifs. Or, l'agriculture est la locomotive de notre économie. Si l'agriculture marche, notre économie est en bonne santé. Si notre agriculture ne marche pas, notre économie est en agonie. D'ailleurs, c'est à partir de cette taxe qu'on parvenait à alimenter le fonds de soutien qui permettait qu'à chaque fois que la filière est menacée, d'avoir un recours financier pour pouvoir la sauver. Ce sont ces taxes qui permettaient également de faire fonctionner le Comité national interprofessionnel de l'arachide (Cnia). Si maintenant on lève les taxes, par quels moyens va-t-on alimenter le fonds de soutien ? Qui va donner les fonds pour faire fonctionner le Cnia ? Cela veut dire qu'on va éliminer les structures qui faisaient fonctionner la filière arachidière. La Sonacos ne pourra pas continuer à être une société industrielle. Elle va maintenant devenir une société commerciale et certainement va se comporter comme les particuliers qui vont négocier des marchés d'huiles végétales ailleurs, trouver des clients avant que l'huile ne vienne et la vendre.

Wal Fadjri : L'Etat a-t-il retiré cette loi ?

Aliou Dia : Je n'ai pas été informé officiellement par l'Assemblée nationale que la loi est déposée sur la table du président de cette institution. Mais nous voudrions sonner l'alerte avant que cette loi ne soit déposée à l'Assemblée. En tout cas, cette loi est anti économique. Elle va certainement signer le certificat de mort de la Sonacos. Et la mort de la Sonacos, c'est la mort de la filière arachidière. La mort de la filière arachidière, c'est la mort du monde rural.

Wal Fadjri : Seriez-vous prêt à rejeter cette loi si elle venait à être soumise à la sanction de l'Assemblée nationale ?

Aliou Dia : Non seulement je ne voterai pas cette loi anti économique, mais je constituerai des lobbies au niveau de l'Assemblée nationale pour qu'elle soit enterrée en commission technique. Parce qu'il est temps que les députés prennent leurs dispositions. L'Exécutif peut être contraint par la Bm. Mais nous, le législatif représentant le peuple, il faudrait que nous raisonnions en fonction des intérêts de ceux qui nous ont élus. L'intérêt du peuple, ce n'est pas que l'on subisse le diktat de la Bm. Et pourquoi deux poids, deux mesures ? La Bm dit qu'on ne doit pas protéger au nom du libéralisme et du mondialisme. Une protection est pourtant apportée à la Compagnie sucrière sénégalaise (Ccs). Pourquoi on accepte de protéger et ailleurs on dit qu'on ne protège pas ? Je rappelle qu'un Etat a trois missions fondamentales. La première, c'est la protection. La deuxième, c'est l'intervention. Et la troisième, c'est l'arbitrage. S'agissant du cas de la Sonacos, c'est le moment de la protéger parce qu'elle est menacée dans son existence.

Wal Fadjri : Avec les règles de la concurrence édictées par l'Omc, l'Etat peut-il protéger la Sonacos ?

Aliou Dia : L'article 6 de l'Organisation mondiale du commerce (Omc) autorise les États membres, une fois que l'économie est menacée, à prendre une mesure de sauvegarde sous forme de taxe de sauvegarde. L'Etat est donc en conformité avec les règles de l'Omc en mettant en place la taxe sur les huiles végétales raffinées importées. La Bm ne fait donc que du chantage et un État sérieux ne doit pas céder à ce chantage.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email