L’audition des notaires, Mes Nafissatou Diop et Papa Sambaré Diop, avant-hier, par la Division des investigations criminelles (Dic), a permis de constater que le protocole que détient le chef de l’Etat est loin d’être authentique. Dans les minutes des auditions, il ressort que les versions données par les deux collègues se recoupent. Cependant, la traque du vrai protocole lancée par les limiers s’est avérée sans suite compte tenu des réponses apportées par Mme Diop. Résumé des minutes d’une audition colorée d’attaques et de contre-attaques.
Les policiers commis à entendre la notaire, Me Nafissatou Diop, n’en reviennent pas du caractère de cette dernière et des révélations qu’elle a faites. La dame a fait montre, confient des sources policières, «d’un aplomb qui a stupéfié les quatre enquêteurs» qui lui ont soumis, de 16 heures à 23 h 45, lundi dernier, à un feu roulant de questions. Lesquelles questions ont, en majeure partie, porté sur le fameux protocole brandi par le Président Wade lors de sa conférence de presse de jeudi dernier. Devant le commissaire divisionnaire, Assane Ndoye, patron de la Direction de la police judiciaire, qui a pris part à une partie de l’audition et des autres commissaires Codé Mbengue, Adramé Fall et de l’inspecteur principal Fansou Kouyaté, la notaire a réitéré que «le document brandi par Me Wade lors de sa conférence de presse du jeudi 1e mars 2007 serait un faux». La réplique des enquêteurs ne tarde pas car, Me Diop est priée par les policiers d’évoquer les raisons qui la fondent à affirmer que le Président Wade aurait brandi un faux document. La réponse au bout des lèvres, Nafissatou Diop lâche : «Ma signature aurait été scannée à partir d’un autre document portant sur une transaction immobilière.» Et de «mettre quiconque au défi de produire l’original du document brandi par Me Wade».
Ce défi de la notaire ouvre la voix aux limiers pour lancer la traque du vrai protocole de Reubeuss. D’après des confidences policières ayant participé à l’audition de la notaire, cette dernière est pressée de produire le document authentique. Mais, la piste des limiers se heurte à la subtilité de Nafissatou Diop car, elle allègue, seulement, «ne pas détenir copie d’un quelconque engagement signé par écrit Idrissa Seck». Dans la même foulée, Me Nafissatou Diop soutient mordicus que «Idrissa Seck n’a rien voulu signer affirmant préférer un procès à un quelconque arrangement». Tout juste, elle reconnaît avoir eu bien mandat de Idrissa Seck pour discuter avec le Président Wade et le mandataire de ce dernier, Me Ousmane Sèye. Non sans faire constater que les discussions n’ont pas pu aboutir.
Quid de la nature de l’intervention du notaire, Me Papa Sambaré Diop, dans ce dossier ? Nafissatou Diop ajuste que le rôle de son confrère «se limitait simplement à authentifier la signature de Idrissa Seck, apposée sur le mandat en date du 29 décembre 2005 que Idrissa Seck lui avait donné pour pouvoir négocier à son nom». D’ailleurs, «Me Papa Sambaré Diop qui a été entendu séparément par les policiers a confirmé la position de sa consœur», soufflent nos interlocuteurs. Mieux, il a insisté : «Je n’ai aucune connaissance d’un quelconque protocole.» Cette déposition de Me Papa Sambaré Diop confortera la version de sa consœur. Mais, il est confié que «le dit protocole de Reubeuss avait été bel et bien paraphé, mais qu’une main leste a eu à subtiliser l’exemplaire que détenait Me Ousmane Sèye». Devant cette situation, l’on présume, alors, que Idrissa Seck et sa notaire ont le beau rôle de clamer urbi et orbi qu’un tel protocole n’a jamais existé. Il reste, poursuit une source proche de l’enquête, que Me Nafissatou Diop devait remettre à la Dic une copie d’un document signé par Me Ousmane Sèye au nom du Président Wade et dans lequel il est stipulé : «J’atteste par ces présentes, que les fonds confiés au notaire Me Nafissatou Diop par M. Idrissa Seck proviennent des fonds politiques gardés par Idrissa Seck en vue de sa participation aux échéances électorales pour soutenir le Président Abdoulaye Wade. Les sommes seront versées à Me Abdoulaye Wade dès la libération de M. Idrissa Seck suite au non-lieu dans les procédures initiées contre lui devant la Haute Cour de Justice et le Tribunal correctionnel de Dakar. En attendant, elles seront placées dans un compte fonctionnant sous la signature conjointe de Me Nafissatou Diop, notaire, et de Me Ousmane Sèye, avocat.»
AMBIANCE TENDUE
Seulement, dans les milieux judiciaires, l’on ne manque pas de s’interroger sur la valeur d’un tel document signé de la main de Me Ousmane Sèye. Un tel document pourrait-il être opposable à autrui ? En quoi pourrait-il engager la responsabilité de Me Diop ou de Idrissa Seck ? De toute façon, le libellé gêne au plus haut point certains hauts magistrats car, il ressort clairement dudit texte que les non-lieux sur l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat et sur l’affaire des chantiers de Thiès pour lesquelles l’ancien Premier ministre a été poursuivi et emprisonné avaient été négociés par des auxiliaires de justice au nez et à la barbe des juges saisis de ces dossiers.
Par ailleurs, l’audition de Nafissatou Diop n’a pas été sans créer des frictions entre les limiers et la notaire. «La dame a été ferme, elle a fait montre de beaucoup de cran», rapporte une source policière. «Mieux, elle s’est même permise de toiser les policiers». En effet, à une réflexion d’un policier qui lui dit : «Vous négociez ainsi des milliards sur le dos du peuple Sénégalais», Me Nafissatou Diop est sortie de ses gonds pour apostropher vertement le commissaire : «Vous me manquez de respect, mais puisque vous vous permettez une telle réflexion, je vous demande de la consigner dans le procès-verbal comme une question et je vous répondrai.» Le ton et l’air avec lesquels Nafissatou Diop a fait cette mise au point font battre les policiers en retraite pour ne pas consigner une telle déclaration dans le procès-verbal d’audition. Les vérités de la dame ne s’arrêtent pas là car, comme piquée au vif, la notaire raisonne les enquêteurs en ces termes : «Si votre patron, Ousmane Ngom, vous appelle, vous déferrerez à sa convocation. A plus forte raison le président de la République. Moi, si le président de la République m’appelle, je lui réponds comme cela avait été le cas. C’est le Président Wade qui a envoyé un émissaire en la personne de Me Ousmane Sèye et m’a chargé d’un message à l’endroit de Idrissa Seck qui était en détention à Rebeuss.»
De même, c’est sur le même ton de la fermeté que Nafissatou Diop a apporté sa réponse quand les policiers lui ont demandé le prix que Idrissa Seck lui a payé pour cette mission. Et selon une de nos sources policières, la notaire s’est voulue plus catégorique. «Je n’ai pas reçu 100 francs de Idrissa Seck. C’est un ami et je lui dois amitié, fidélité et loyauté. Si c’était à refaire, je l’aurais refait. Je ne lui demande rien et n’attends pas un sou de lui.»
Cette audition d’avant-hier a été bouclée sur les coups de 23 heures 45 minutes, mais Me Nafissatou Diop est restée encore un autre tour d’horloge dans les locaux de la Brigade des affaires générales de la Dic, en attente que le procès-verbal d’audition soit «vu» par la hiérarchie.
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