COMMENTAIRE DU JOUR : Bravo, M. le président de la République !

Il y a deux personnalités dans le pays qui, pour des raisons totalement différentes, méritent les félicitations de la nation et en particulier de la part des démocrates. Il s’agit du Chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade et de Macky Sall, président de l’Assemblée nationale. Le Chef de l’Etat d’abord : il a raison et mille fois raison, M. le président, de refuser de recevoir cette délégation de la société civile qui, sous prétexte de travailler à la sauvegarde des institutions de la République, s’est offerte en organe de médiation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, le président de l’Assemblée nationale. Dans son esprit, elle agit en vue de prévenir une grave crise institutionnelle qui se profilerait à l’horizon. Le président de la République se montre cohérent et logique avec lui-même. Dans son esprit, Macky Sall doit obéir à ses injonctions. Ni plus, ou moins ! Abdoulaye Wade ne voit pas de raisons à ce qu’il désobéisse à sa volonté de décider de son sort, même si au passage, il fait entorse aux principes fondateurs de la République.

Le « Gardien de la Constitution » agit comme si ce sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs prévue dans la norme fondamentale du pays, n’est tout au plus qu’une simple proclamation de foi et une pétition de principe n’ayant pour autre but que de mettre plus de vernis à une coquetterie constitutionnelle qui ne peut avoir aucune valeur. Dans ces conditions, la société civile prétentieuse à souhait, est naturellement mal venue à ses yeux, en essayant de se poser en organe de médiation dans une fausse crise entretenue d’abord pour servir d’alibi et de prétexte, pour assouvir les seuls désirs du monarque républicain. La société civile qui a été ainsi éconduite par le chef de l’Etat ne doit s’en prendre qu’à elle-même.

En voulant à tout prix exister en se posant face au politique et en essayant de fonder sa légitimité et le bien fondé de ses activités face au politique a fini d’oublier sa mission et sa fonction dans la société démocratique ou qui l’aspire à l’être. La société civile est un acteur essentiel dans la gestion du pouvoir démocratique qui postule l’idée de participation responsable des citoyens qui, à travers elle, exercent une part de ce pouvoir. C’est bien dans sa posture de contrepouvoir que la société civile est utile et efficace. Le débat démocratique exige des acteurs qu’ils parlent plus des principes et moins des hommes. Comme dirait l’autre, ceux qui discutent de principes sont grands, ceux qui parlent d’idées le sont plus ou moins alors que ceux qui s’intéressent aux hommes ne sont que des médiocres. Or, le débat auquel appelle la société civile, au regard de sa démarche actuelle met en avant les hommes et leurs humeurs personnelles.

C’est pour cette raison que l’ensemble des démocrates de ce pays dit bravo à Macky Sall car ce dernier parle jusqu’à présent de principes. Et tous ces démocrates ont envie de lui apporter leur soutien dans son bon droit qui l’amène à refuser de démissionner. Son refus de se plier aux injonctions des fossoyeurs de la démocratie est légitime et lui donne une dimension politique incontestable. Une grande personnalité, c’est finalement, comme pour paraphraser l’autre, la rencontre entre une femme ou un homme avec un événement. Ne facilitez pas la tâche à ceux qui sont décidés, contre vents et marées, à détruire le peu de brillant et de crédit dont notre démocratie peut encore se prévaloir. En refusant de démissionner, le président de l’Assemblée nationale va forcer le camp adverse à assumer devant l’histoire une responsabilité fondamentale à laquelle ils ne peuvent pas, sans masques et fards, faire face.

Laissez les tripatouiller la Constitution, laisser les se livrer à toutes sortes de contorsions politiques pour forcer votre départ du perchoir. Votre refus, peut-être même à votre corps défendant, vous démarque de tous ceux qui, comme Néron, dans votre parti et dans son régime, mettent le feu dans la cité et éprouvent un macabre plaisir à observer les flammes consumer tout sur leur passage. Il est clair que le président de l’Assemblée nationale ne partira pas du Perchoir de son propre gré. Il est aussi clair que le Chef de l’Etat et son camp iront jusqu’au bout de leur logique. La presse avait annoncé que le Chef de l’Etat utiliserait les dispositions de l’article 52 de la Constitution pour aboutir à son objectif. Elle avait également signalé que ce dernier avait exprimé toute sa colère devant Macky Sall à qui il intimait l’ordre de quitter son fauteuil. Les institutions de la République marchent, depuis mars 2000 au gré des humeurs et des colères d’un homme.

C’est cela qui est essentiellement le problème du Sénégal. Or, comme disait le philosophe, on ne peut concevoir la grandeur que dans une âme inébranlable. La colère aurait , précise Sénèque, soif de vengeance. Se venger contre qui et pour quelle raison ? Contre Macky Sall ou contre des principes républicains imprudemment adoptés et acceptés ? Contre les deux à la fois !. On ne rend pas meilleurs les hommes en les haïssant ou en les méprisant. En réalité, on ne peut y arriver que par l’indulgence et la tempérance et s’il y en a d’incorrigibles, on les traite sans haine et avec raison, en les arrachant à leur propre dégradation. Le comprend-on souvent au sommet de l’Etat sénégalais ? Rien n’est moins sûr. Encore faudrait-il que l’on sache que la colère n’a rien de noble ni d’élevée, sinon on en serait pas aujourd’hui à cette triste situation où la colère résultant d’une convocation du fils du chef de l’Etat devant le parlement n’a pas encore fini de mettre sens dessous sens dessus la République.

Le Sénégal se trouve aujourd’hui à un carrefour dangereux dans la conduite de son projet démocratique. Cessons de croire que ce qui arrive à l’Assemblée nationale n’est qu’un épisode de plus dans la longue marche de ce pays vers le progrès. Cet épisode est alors singulier et particulier et donne une idée de ce que demain sera fait.