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Babacar Ibrahima WADE (agent comptable particulier) : ‘L'hôpital Principal est structurellement déficitaire’

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Babacar Ibrahima WADE (agent comptable particulier) : ‘L'hôpital Principal est structurellement déficitaire’

Les indigents et les insolvables posent un gros problème à l’hôpital Principal de Dakar. De l'an 2000 à 2006, ces personnes admises en urgence médico-chirurgicale doivent en tout à cette structure sanitaire 14 milliards de francs, en raison de 2 milliards par an, selon son Agent comptable particulier. Le recouvrement de cette importante somme se révèle, dès lors, difficile. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Babacar Ibrahima Wade s’en explique. Mais il reconnaît également devoir 4 milliards à l’Etat et à ses fournisseurs. D’où les difficultés de trésorerie dont souffre son établissement.

Wal Fadjri : L’hôpital Principal de Dakar reçoit des urgences sans aucune condition financière au préalable. Autrement dit, vous vous préoccupez d’abord de la situation sanitaire du malade avant de vous pencher sur son aspect financier. Mais cela ne vous pose-t-il pas un problème de recouvrement ?

Babacar Ibrahima Wade : Dans tous les pays du monde, la santé est un secteur à subvention. Aucune structure de santé ne peut se suffire à elle-même. Au Sénégal, il y a eu l’avènement des établissements publics de santé (Eps) qui ont créé l’hôpital Principal de Dakar. Malheureusement, dans notre fonctionnement, le gros problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est le recouvrement des urgences. J’ai actuellement un compte de 3 milliards de francs qui concerne les indigents et les insolvables. C’est un problème qu’il va falloir régler un jour parce que ça grève la trésorerie de l’hôpital. Nous ne pouvons pas rester sans prendre ces urgences. Notre mission de service de public nous impose de prendre en charge tous les malades sans aucune discrimination. De l’autre côté aussi, le médecin, par rapport à son traitement, refuse de sérier les clients, c’est-à-dire de voir leur solvabilité. Or, n’importe quel accidenté que les sapeurs pompiers ramassent à Dakar au-delà de 18 h, est forcément orienté vers l’hôpital Principal de Dakar parce qu’ils savent qu’il y a un service d’urgence qui fonctionne 24 heures sur 24. Ce malade, arrivé à l’hôpital, le médecin lui fait des analyses pour pouvoir faire son diagnostic. Déjà rien que le malade, à son entrée de l’hôpital, nous coûte à peu près 400 000 francs. On lui fait un scanner, des actes biologiques, des analyses et autres traitements nécessaires, sans tenir compte de sa solvabilité. C’est au moment où le malade est rétabli que nous regardons l’aspect recouvrement.

Wal Fadjri : Est-ce à dire que vous travaillez à perte ?

Babacar Ibrahima Wade : Je raisonne en termes de reste à payer. Les indigents et les insolvables nous coûtent 2 milliards de francs par an. De l’an 2000 à 2006, le montant de la facture de ces malades est de 14 milliards de francs Cfa. C’est une perte sèche. Mais il y a un autre aspect qu’il faut voir. Ce sont les fonctionnaires. Nous devons les nourrir et les soigner à notre charge. Ça aussi a un coût. Le prix de la journée de séjour ne peut pas intégrer ces aspects alimentation et médicaments. Et à la longue, ça risque de compromettre sérieusement la qualité de service et même le fonctionnement de l’hôpital.

Wal Fadjri : Qui supporte tous ces coûts ?

Babacar Ibrahima Wade : Avant l’avènement des Eps, les urgences étaient prises en charge par le Conseil régional de Dakar. Soit cette entité décentralisée donnait un certificat d’indulgence qu’elle remboursait bon an mal an, soit le Conseil régional de Dakar le prenait dans le cadre de l’action sociale. Ce n’est plus le cas maintenant. Par contre, l’Etat nous donne une subvention de fonctionnement de 1,3 milliard de francs. C’est pour permettre à l’hôpital Principal de faire face à sa mission de service public, mais non pas pour la prise en charge des urgences. C’est à ce niveau qu’il y a ambiguïté. La subvention de l’Etat est donc destinée au fonctionnement de l’hôpital parce qu’aucune structure hospitalière ne peut faire face à son budget de dépense.

Wal Fadjri : Et comment faites-vous pour recouvrer votre argent ?

Babacar Ibrahima Wade : Ces personnes indigentes et insolvables qui sont soignées, n’ont pas d’adresse fixe. A la limite, on ne devrait pas en faire un compte client. Autrement dit, on ne devrait pas facturer ces gens. Une fois, j’ai été confronté à un problème. Quelqu’un était à la morgue. On m’appelle pour me demander ce qu’on fait du corps. C’était un ‘boudiouman’ que l’ambulance a récupéré et a amené ici à l’hôpital. Nous l’avons soigné. Malheureusement, il est décédé. Ce travail n’est pas payé. Mais nous sommes tenus de le soigner. Je me suis battu parce que je ne comprenais pas cet aspect. Je me disais que je suis un financier pur et dur. J’ai soigné quelqu’un, il faut qu’il me paye. Quelqu’un qui n’a ni de revenu, ni de domicile fixe ne peut pas payer. Et si nous regardons la liste des urgences, les adresses qui y sont données, sont erronées. Les gens déposent toujours une pièce d’identité. Mais le lendemain, ils vont en chercher d’autres.

Wal Fadjri : A votre avis, quelle serait la meilleure solution à ce problème de recouvrement ?

Babacar Ibrahima Wade : C’est comme dans tous les pays. En France, on dit : voilà le montant du service des urgences et l’Etat le donne en subvention. Je ne vois pas d’autres solutions. Par contre, ça nous permettra de regarder par rapport à notre fichier qui est indigent ou non, qui est insolvable ou non. Il faut les sérier. Il ne faut pas tout mettre dans le cadre des indigents et des insolvables. Il y a des gens qui peuvent payer. Mais du fait de la non-sécurisation de l’identité ou de l’adresse, ils nous échappent complètement.

Wal Fadjri : Vos dépenses seraient-elles excessives ?

Babacar Ibrahima Wade : Oui. Nous avons une structure qui tourne trois fois par huit. Elle est très gourmande en personnel médical et paramédical. Ce sont des gens qui tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous sommes le seul établissement public qui supporte à 100 % ses salaires pour un effectif d’à peu près mille cent personnes. Je suis donc obligé, à partir du 20 de chaque mois, de mobiliser des fonds pour pouvoir payer les salaires.

Wal Fadjri : La cherté des frais d’hospitalisation et de consultation fait croire à beaucoup de gens que l’hôpital Principal génère d’importantes ressources. Qu’en est-il ?

Babacar Ibrahima Wade : Cet argent que nous récoltons, fait partie intégrante de notre budget de fonctionnement. Notre budget est équilibré en recettes et en dépenses. Malheureusement, les dépenses sont incompressibles. La masse salariale, l’électricité, l’eau, le téléphone nous bouffent pratiquement toutes nos marges de fonctionnement. Mais en réalité, nous ne sommes pas chers contrairement à ce qu’en pensent beaucoup de gens. Par exemple, Brevier est une clinique privée au même titre que la clinique Madeleine. En plus, la clinique Brevier a un plateau technique moderne. Ce qu’elle facture la journée, repas et médicaments inclus, c’est 26 000 francs, c’est-à-dire 10 % de ce que facture la clinique Madeleine. Et nous sommes tenus de donner trois repas par jour et des médicaments, quelque soit le prix. Cela peut expliquer en partie le problème de la trésorerie de l’hôpital. En fait, nous ne pouvons pas facturer ce plateau technique. En France et dans les autres pays, les tarifs sont excessivement chers parce que les gens ne payent pas en transfert médical. Ce sont des millions que les gens payent.

Wal Fadjri : Vous faites alors plus de dépenses que de recettes.

Babacar Ibrahima Wade : C’est l’architecture du budget qui est comme ça. On aligne les dépenses et on met les recettes. Les recettes, ce sont des droits constatés. C’est l’activité qui est quantifiée pour équilibrer le budget. Et dans cette activité, malheureusement, il y a les urgences. C’est l’activité qui équilibre le budget et non pas l’argent que nous recevons. Et c’est souvent l’amalgame que beaucoup de gens font. Le budget n’est pas équilibré par les recettes, mais par l’activité, c’est-à-dire le droit constaté. Quand un médecin soigne un indigent, il est prévu dans le budget. Malheureusement, cet argent ne sera jamais recouvré. Ce qui fait le déséquilibre du budget.

Wal Fadjri : Etes-vous déficitaire ?

Babacar Ibrahima Wade : Structurellement, nous sommes déficitaire. Et ça, c’est tous les hôpitaux.

Wal Fadjri : Quel est le montant de votre déficit ?

Babacar Ibrahima Wade : Cette année, le déficit est à 1,9 milliard de francs. C’est presque 2 milliards que je dois à l’Etat et 2 milliards aux fournisseurs. C’est en tout presque 4 milliards. Ce déficit est là. C’est ma dette. Je ne parle pas d’exploitation parce que celle-ci, au même titre que le budget, est assise sur des droits constatés et non pas sur des recettes.

Wal Fadjri : C’est combien les recettes ?

Babacar Ibrahima Wade : C’est 10 milliards de cumul.

Wal Fadjri : Les urgences sont-elles les seules à vous poser problèmes ?

Babacar Ibrahima Wade : Non. Il y a aussi les Institutions de prévoyance maladie (Ipm). Mais nous connaissons les problèmes des Ipm. Elles fonctionnent avec un déficit énorme. Elles n’arrivent pas à équilibrer leurs comptes. Après l’Etat, les Ipm sont la deuxième cliente de l’hôpital. Mais nous arrivons à faire des échéanciers avec des moratoires. Nous avons aussi des agents non-fonctionnaires de l’Etat qui sont regroupés dans des coopératives. Ça pose d’énormes problèmes. Il faut ajouter à la liste les communes d’arrondissement. Elles ne payent pas. Dans le privé, j’aurais dit non, parce que ce n’est pas une question de vie ou de mort.

Wal Fadjri : Combien les communes vous doivent ?

Babacar Ibrahima Wade : C’est 500 millions de francs. De même, l’ancienne Communauté urbaine de Dakar nous doit des sous. C’est à peu près 60 millions de francs. L’ancienne Sones, la Sotrac ne sont pas en reste. Ces sociétés étaient protégées au niveau de l’hôpital Principal de Dakar. Tous ces démembrements de l’Etat nous posent des problèmes.

Wal Fadjri : Qu’en est-il des privés ?

Babacar Ibrahima Wade : Le privé arrive à payer. L’hôpital a des conventions avec les privés. Ils respectent leurs engagements.



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