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LE JOURNALISTE DOIT-IL FRÉQUENTER LES HOMMES POLITIQUES : Les liaisons dangereuses

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LE JOURNALISTE DOIT-IL FRÉQUENTER LES HOMMES POLITIQUES : Les liaisons dangereuses

Les côtoyer mais ne jamais les fréquenter. Cette devise critique du journalisme envers les hommes politiques et qui fonde le soubassement de l’éthique et de la déontologie journalistiques ne fait pas l’unanimité au Sénégal. Pourtant, journalistes comme hommes politiques reconnaissent la nécessité d’observer une distance critique entre l’amitié et le devoir professionnel. Et surtout, la nécessité pour le journaliste de garder sa liberté de conscience.

« Si un homme politique m’invite à dîner, je refuse », déclarait un célèbre journaliste politologue de CNN. Méfiance excessive et démesurée ou garde-fou salutaire pour conserver une liberté précieuse ? Dans un pays (les Etats-Unis) où historiquement la presse garde sa distance voire une certaine méfiance vis-à-vis du milieu politique, rien de surprenant. Sans doute, une majorité des confrères de ce journaliste pensent de la même manière...

Au Sénégal, pays héritier de la tradition journalistique française, où naturellement il y a une proximité entre journalistes et hommes politiques, souvent en collusion, cette position divise.

Certes, comme le souligne El Hadji Kassé, ancien directeur du "Soleil", il faut replacer les relations journalistes-hommes politiques dans un contexte global entre journalistes et les autres segments de la société. N’empêche que les relations entre journalistes et hommes politiques sont particulières. Ce qui est, d’ailleurs, valable dans tous les pays, parce que la politique est un domaine sensible du fait qu’elle touche au pouvoir et aux intérêts.

« Cette relation particulièrement visible peut donc se caractériser par la complicité, le conflit ou, au pire des cas, par la corruption », analyse M. Kassé.

Si le journaliste, en tant que membre de la société ayant des intérêts et des sensibilités, n’a pas une claire conscience de sa mission sociale et de son devoir d’objectivité, il peut prendre parti, être « de connivence » et « aliéner l’exigence professionnelle ». Ce qui fait dire à El Hadji Kassé qu’ « un journaliste qui privilégie les affects sur son devoir moral d’objectivité, peut se transformer en un vulgaire propagandiste ». Selon lui, le journaliste devrait faire sienne cette devise de Platon : « Vous êtes mon ami, mais la vérité m’est plus ami ». Dans toute circonstance ?

Proximité ou amitié ?

Pour Issa Sall, rédacteur en chef de "Nouvel Horizon", être ami d’un homme politique, ne veut pas dire être son porte-parole. « Tout d’abord, il ne faut pas confondre proximité et amitié », dit-il. Très remarqué pour ses amitiés politiques notamment avec Ousmane Ngom, l’ancien ministre de l’Intérieur, ce qui d’après certaines langues, lui aurait valu son siège au Cena, M. Sall précise : « Dans l’ensemble, mes relations avec les politiques ne sont pas des relations de conflit encore moins de collaboration. Ce sont des relations d’interlocuteur. Mais, on ne peut pas demander à un journaliste de ne pas avoir d’amis politiques. Nous en avons forcément tous ...moi, j’ai beaucoup d’amis qui font de la politique - la nuance est importante -, mais on ne se fréquente pas dans le cadre privé. Par exemple Ousmane Ngom ne connaît pas ma famille ni moi la sienne. On s’est connu uniquement dans le cadre professionnel et nos rapports sont régis dans ce cadre... ».

Cependant, la principale question ne se situe pas là. Il s’agit, ici, de savoir est-ce qu’on peut avoir des amis et écrire avec honnêteté sur eux ? C’est peut-être là que réside, dans certaines circonstances, le choix cornélien du journaliste.

Selon Issa Sall, c’est très simple : « quand on a des amis, il faut éviter le maximum d’écrire sur eux en laissant les autres confrères s’en charger. Ou bien, si on est tenu d’écrire, s’en limiter aux faits et éviter les jugements et avoir assez de recul pour ne pas donner à la suspicion ».

Deux mondes différents

Mbaye Sidy Mbaye, un des doyens de la presse et très attaché à l’éthique -il enseigne d’ailleurs l’éthique et la déontologie dans les écoles de journalisme- crois, lui, qu’il est difficile de traiter avec honnêteté et impartialité une information concernant un ami. Ce qu’il ne faut pas oublier aussi, c’est que derrière l’image d’un homme de devoir et défenseur d’un idéal incarné par le journaliste, il y a une vie : celle d’un être humain qui a une famille, des amis...

De ce fait, selon Mame Less Camara, « le journaliste doit toujours avoir en tête qu’il est à la fois un homme et un journaliste. Un homme au sens qu’il peut avoir un passé commun ou une passion commune avec des hommes politiques : alors on ne peut pas décréter qu’il ne doit pas y avoir d’amitié entre eux ; un journaliste au sens où il doit obéir à certaines règles déontologiques : alors, il doit identifier et neutraliser la tentation de céder aux « affects ». Il doit éviter une confusion des rôles... ». Il pense que le journalisme est un métier qui « oblige à se faire violence ». « Prenez l’exemple d’un policier qui fermerait les yeux sur une infraction d’un ami...c’est la même situation avec un journaliste qui, dans le cadre de son travail se tait pour protéger un ami politique ou autre... », juge-t-il.

Il se pose, ici, pour le journaliste, un choix qui peut être douloureux, si l’on sait combien les relations sociales comptent dans notre société. Mamadou Koumé, directeur de l’Agence de presse sénégalaise (Aps), même s’il ne rejette pas qu’un journaliste puisse avoir des amis politiques, reconnaît qu’il est difficile, dans ce cas d’échapper à l’influence.

« S’il y a des relations, forcément il y a une influence parce qu’on est tous des humains et que les règles de bienséance nous obligent à avoir de bons rapports avec nos amis ».

Quelle solution alors ? « Pour tirer son épingle du jeu, le journaliste doit donc avoir un cordon sanitaire, une sorte de garde-fou : ne pas écrire sur ses amis », déclare Mamadou Koumé. Cette solution est la mieux partagée par les journalistes. Mais, pour Ameth Ndiaye, spécialiste de Sciences politiques et professeur de Droit à l’Université Cheikh Anta Diop, le savant et même le journaliste doit « s’extraire des cercles de passions » comme le recommandait Marx Weber.

Alors, faut-il être suffisamment mûr pour se libérer de toute influence vis-à-vis de tout ami ou rester « prisonnier » des relations sociales ?

Ce qui importe le plus, selon Mame Less Camara, c’est de savoir faire la part des choses. Il estime que l’amitié -qui est un domaine privé- et le cadre professionnel sont « deux mondes différents ». Et que, dans chaque situation, chacun doit jouer son rôle pour respecter la scénographie : « quand on est dans le cadre privé, on est amis ; quand on est dans le cadre professionnel, le journaliste doit avoir l’attitude d’un journaliste et le politique jouer son rôle sans que l’amitié n’empiète sur cette relation ».

Cette idée est aussi partagée par El Hadji Kassé. Il estime que l’amitié c’est la sincérité et le respect mutuel notamment en matière de conscience professionnelle. « J’avoue que j’avais beaucoup d’amis dans le régime de Diouf... Mais cela ne m’empêchais pas d’écrire sur eux en toute liberté de conscience, dit-il.

Amath Dansokho c’est mon ami aussi, pourtant quand il a été mêlé dans une affaire de vente de terrains, j’avais écris beaucoup d’articles sur cette affaire... Aucun de mes amis n’a jamais osé essayer de m’influencer tant que c’était dans le cadre professionnel ». Aussi, s’empresse-t-il de préciser que la solution c’est de « rester professionnel jusqu’au bout en respectant les règles déontologiques et éthiques et en maintenant une distance critique nécessaire pour ne pas être pris au filet ». C’est là où réside la principale difficulté si l’on sait que l’homme est sujet aux « affects ».

Cependant, c’est en image de marque qu’être estampillé « ami d’untel homme politique » coûte le plus au journaliste. « Si personne n’ose contester au journaliste, en tant que membre de la société, le droit d’avoir des amis qui font de la politique -et dans tous les domaines, d’ailleurs-, il y a quelque chose de gênant, cependant, quand il y a promiscuité entre un journaliste et un homme politique, explique Mbaye Sidy Mbaye. D’une part, si le journaliste est membre d’une rédaction, il ne peut plus être critique envers cet homme politique ou en tout cas personne ne croirait qu’il l’est. D’autre part, s’il écrit sur un adversaire de celui-ci, on peut logiquement le soupçonner de ne pas être équidistant ». En clair, ici, le journaliste perd son devoir d’indépendance, « réellement ou en apparence ». Il se serait mis dans une « situation de conflit d’intérêt réelle ou en apparence », estime M. Mbaye. Et, dans l’intérêt public, « il faut éviter que le journaliste soit victime du doute de l’opinion publique... », dit-il.



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