TEMOIGNAGE - Robert Lahoud sur les circonstances du décès de Mamadou Konté : «Mamadou Konté a été victime de négligences médicales»

Ami et proche collaborateur de Mamadou Konté depuis trois ans au sein de la Coalition interprofessionnelle des producteurs phonographes du Sénégal (Cipeps), le producteur Robert Lahoud revient, dans cet entretien réalisé le jeudi 21 juin, au lendemain de la disparition du promoteur d’Africa Fête, sur les circonstances, pour le moins scandaleuses, de son décès à l’hôpital Principal de Dakar. Il évoque également, l’ingratitude de certains artistes dont il a pourtant contribué à lancer la carrière. Entretien avec un Robert Lahoud encore sous le choc et révolté.

On vous savait très proche de Mamadou Konté et surtout, durant tout le temps de sa maladie, est-ce que vous pouvez revenir sur les dernières péripéties qui ont précédé sa disparition.

Il a beaucoup souffert, il est passé de rechute en rechute pendant plus d’un mois. Il a été hospitalisé à quatre reprises, il est revenu à la maison, puis il a encore eu une rechute, on est reparti à l’hôpital Principal, au pavillon Boufflers, pour la dernière fois. Aux alentours de 19 heures, il a eu un arrêt cardiaque, les gens ont essayé de le réanimer avec un électrochoc, mais c’était trop tard.

Ce que je tiens à dire, cependant, c’est qu’il a franchement fait l’objet d’une négligence de la part des établissements hospitaliers de la place. Il a été très négligé et les analyses n’ont pas été bien interprétées. Et hier (mercredi 20 juin), n’eût été l’intervention de monsieur Didier Lebret de l’Ambassade de France, il n’aurait même pas pu bénéficier d’une chambre. Il n’a pu bénéficier de la chambre qu’en début d’après-midi, alors qu’il avait été envoyé à l’hôpital depuis dimanche 17 juin. Ce qui veut dire que toute la journée de mercredi, il était aux urgences, juste pour recevoir des soins de première nécessité, sans plus, aucune interprétation des analyses n’a été faite, rien jusqu’au moment où son cas s’est aggravé et tout le monde a accouru, mais c’était trop tard.

Et de quoi souffrait-il au juste ?

Lorsqu’il était en France, il avait fait une tuberculose dont il a été guéri par la suite. Ces derniers temps, il avait un problème bénigne, semble-t-il, au cerveau, mais sur ce point, les versions diffèrent.

Le professeur qui le traitait avait parlé d’une méningite tuberculeuse et il avait des soins dans ce sens et vous savez que les traitements d’une méningite tuberculeuse peuvent assommer un cheval. Cependant, les analyses ont montré qu’il n’avait ni méningite, ni tuberculose. Donc, devant cette confusion, nous l’avons évacué à l’hôpital Principal pour refaire les analyses, mais malheureusement, il a été déposé aux urgences pendant des jours ! Je suis désolé de le dire, mais vous savez dans les hôpitaux, les gens ne font pas de différence entre Mamadou Konté et de la viande. On a longtemps galéré.

A un moment, il était question d’une évacuation sanitaire sur la France, mais son état était tel que l’on pensait qu’il n’allait pas pouvoir supporter le voyage, tellement il a été l’objet d’une négligence coupable. Il a été d’abord hospitalisé à la clinique des Madeleines où il a passé une semaine, je ne vous parle même pas de l’ardoise qui a été faramineuse, sans compter l’ordonnance prescrite qui n’avait rien à voir avec les analyses, ça fait vraiment mal au coeur. Mamadou ne méritait pas cela du tout, personne d’ailleurs ne le mérite. Il n’appartenait pas seulement au Sénégal mais à l’Afrique en général, pour ne pas dire au monde entier.

On sait que Mamadou Konté, à travers le festival Africa Fête et son espace culturel, le Tringa, a eu à lancer la carrière de grandes figures de la musique africaine et de groupes et d’artistes locaux. Est-ce que ces derniers se sont manifestés durant sa maladie et ses problèmes de prise en charge ?

Honnêtement, il n’avait pas de problèmes financiers pour se prendre en charge. Récemment, il avait mis de l’argent de côté pour subvenir à certaines éventualités. Et devant la perspective d’une évacuation sanitaire sur la France, et qui exigeait une somme assez colossale, beaucoup de bonnes volontés étaient prêtes à nous soutenir, comme le Bsda, l’ambassade de France, la coopération française, des personnalités comme Youssou Ndour, Aziz Dieng, toutes les têtes d’affiche de la musique au Sénégal, vraiment tout le monde a proposé ses services.

Mais encore une fois, le problème ne se situe pas à ce niveau. La vraie difficulté se situe dans la négligence dont il a été victime au niveau de l’hôpital Principal. Jusqu’ici, je n’avais pas l’occasion de me frotter aux différentes structures sanitaires de la place, mais je me suis rendu compte que c’est à l’image de tout ce qui se passe ici : un système informel de modou-modou, clientéliste, c’est franchement lamentable et c’est l’occasion pour moi de pousser un cri du coeur, parce que encore, une fois, Mamadou ne méritait pas ça.

Il semble aussi que nombre d’artistes qui sont passés sous son aile, lui devaient de l’argent...

Oui ! oui ! Vous savez, il a été victime de pas mal d’ingratitude, mais vous me permettrez de ne pas rentrer dans les détails car je ne veux pas porter atteinte à certains. Je le connaissais depuis trois ans et l’on a beaucoup parlé ces derniers temps, mais ce que je peux dire c’est qu’au Sénégal, par exemple, pas mal d’artistes ont beaucoup profité de lui pour ensuite l’arnaquer.

Et vous savez la production au Sénégal, c’est un peu caricatural, mais c’est comme cela, dès que vous dites à un chanteur qu’il chante bien, vous devenez son tuteur, vous prenez en charge ses dépenses, les frais liés aux deuils, les baptêmes, et même ses petits caprices de star, tout revient à votre charge. Et quand maintenant arrive le moment de payer les créances, de renvoyer l’ascenseur parce que justement la carrière le permet, on a toujours affaire à de grosses ingratitudes. Par exemple, il y a eu hier (mercredi), le témoignage de Ousmane Faye, le manager du Super Diamono qui a reconnu tout ce que Mamadou Konté lui a apporté. D’autres, par contre, n’ont pas été aussi explicites. Nous les producteurs, connaissons beaucoup ces problèmes et il en est ainsi un peu partout.

Que va-t-il advenir maintenant de Africa Fête, un concept-phare qui, depuis un certain temps, ne connaît plus son succès d’antan ?

Nous allons tout faire pour que le concept reprenne de plus belle. Mais je vais vous dire une chose, Mamadou Konté était quelqu’un de très bien secondé aussi bien au Sénégal qu’en France et pendant tout le temps qu’il était malade, tout son entourage s’est bien occupé de lui et de la meilleure des façons. Donc, nous allons reprendre le flambeau. Et ce qui est paradoxal finalement, mais c’est la réalité, c’est que Mamadou Konté était plus connu à l’étranger que chez lui-même. C’était un monsieur respecté dans les grandes institutions culturelles telles que la Francophonie, par exemple.